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« avec la naïveté la plus bouffonne que j’aie jamais rencontré, » — c’est M. Faguet qui s’exprime en ces termes un peu durs, mais non point injustes, — il nous a représenté Pascal « donnant ce spectacle sévère et touchant d’un chrétien revenu de toutes ses illusions et disputant au monde, pour la donner à Dieu, une personne qui ne pouvait pas être à lui. »

Il faut le regretter pour Faugère, et pour quelques autres, toutes les probabilités sont pour qu’il n’y ait pas un seul mot de vrai dans toute cette histoire.

Des textes versés en effet au débat par M. Gazier, dans une étude décisive, il ressort jusqu’à l’évidence : d’abord, que si Pascal connaissait Mlle de Roannez avant le mois d’août 1656, ce qui n’est pas sûr, quoique assez probable, il ne la connaissait que fort peu, et que donc il n’eut guère alors le loisir de devenir amoureux d’elle ; — en second lieu, qu’il fut complètement étranger au dessein tout spontané qu’elle forma de se donner à Dieu et à Port-Royal ; — et enfin que, s’il intervint un peu plus tard, avec autorité, violence et douceur tout ensemble, ce fut sans doute sur la prière de son ami, le duc de Roannez, mais sans aucune espèce d’arrière-pensée personnelle et avec le plus complet désintéressement mystique. M. Gazier reproche à Pascal, — et j’ai jadis été de son avis, — « d’avoir manqué peut-être de clairvoyance, de n’avoir pas compris que ces désirs de retraite n’étaient pas aussi forts qu’ils paraissaient l’être. » A relire aujourd’hui la vie douloureuse et troublée de celle qui devait être un jour la duchesse de La Feuillade[1], je me demande si Pascal n’avait pas mieux vu que toute une famille qui la persécuta de si longues années, que la vraie « vocation » de cette pauvre âme inquiète et faible était bien le cloître, et non pas ce

  1. Il y a toute une « littérature » sur Pascal et Mlle de Roannez. Outre les études, déjà mentionnées, de M. Gazier et de M. Faguet, on peut consulter M. G. Lyon, la Conversion de Mlle de Roannez, Pau, 1879 ; De Lescure, Pascal et Mlle de Roanne : (Correspondant du 25 août 1881) ; C. Adam, Pascal et Mlle de Roannez (Revue bourguignonne de l’enseignement supérieur, 1891) ; J. Calvet, Pascal directeur de conscience (Revue du clergé français du 15 juin 1901) : enfin et surtout les précieux Mémoires de Godefroi Hermant, publiés récemment par M. A. Gazier (Paris, Plon), en particulier le tome III (Liv. XVII, chap. XXI, et Liv. XVIII, ch. I et IV), qui contient plusieurs lettres de Mlle de Roannez. Les fragmens de lettres de Pascal à Mlle de Roannez que nous possédons actuellement ont été découverts à peu près en même temps par Cousin et par Faugère, et c’est Cousin qui le premier les a publiés au complet dans ses Études sur Pascal (1843). Le Recueil d’Utrecht en avait déjà publié une, et Bossut un fragment d’une autre, avec des variantes qui n’ont point passé dans les éditions modernes.