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plus de part à l’art de plaire dans la conversation qu’à la passion véritable ; celle analyse tout intellectuelle n’a pu être écrite qu’avec un sang-froid parfait, et peut-être est-elle née d’une gageure tenue contre Méré ou quelque autre de ses amis, qui aurait mis le mathématicien qu’était Pascal au défi de traiter galamment de l’amour ? » Je suis, à quelques nuances près, de l’opinion de M. Brunschvicg. Le Discours, que nous n’avons pas le droit d’attribuer à Pascal, a fort bien pu être écrit par un amoureux ; il a pu l’être tout aussi bien par un homme qui ne l’était pas. En lui-même, il ne nous apprend rien de précis sur la « vie sentimentale » de son auteur, quel qu’il soit.


Mais M. Faguet va plus loin encore. Il s’en prend à une œuvre qui, cette fois, est incontestablement de Pascal, aux Pensées elles-mêmes, et, tout en déclarant formellement que « le Pascal du temps des Pensées » n’est plus amoureux, n’ayant alors « absolument qu’une passion, la passion de Dieu, » il soutient que « bien des mots, dans les Pensées, sont d’un homme qui a aimé, qui ne s’en souvient peut-être plus, mais qui a aimé, et qui ne pourrait guère écrire ces mots-là, s’il n’avait aimé. »

La thèse est originale, et je crois bien que M. Faguet est le premier à l’avoir soutenue. Mais aurait-il eu l’idée de la soutenir, si le Discours ne la lui avait inspirée ? J’en doute un peu, pour ma part. Il me semble bien qu’historiquement, je l’ai déjà dit, l’idée d’un Pascal amoureux est postérieure à la découverte du Discours sur les passions de l’amour, est issue, si je puis dire, de cette découverte même. Nous avons de ceci une preuve assez significative dans le Port-Royal de Sainte-Beuve. Quand Sainte-Beuve fit à Lausanne, en 1837 et 1838, son cours sur Port-Royal, et, un peu plus tard, en 1842, quand il publia le second volume de son grand ouvrage, arrivé à la « vie mondaine » de Pascal, il parle fort simplement de « cette vie éparse et réfléchie, » sans faire la moindre allusion aux « amours » du grand écrivain. Évidemment, comme tout le monde alors et auparavant, il ne s’était même pas posé la question. Mais deux ans se passent ; Cousin découvre le fameux Discours et l’interprète comme on sait ; Faugère et d’autres avec lui renchérissent encore sur Victor Cousin en hypothèses et en extravagances. Sainte-Beuve n’en est pas ébranlé : il donne en 1860 une seconde édition refondue de son livre sans modifier en rien sur ce point ses positions