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Discours, ce qui implique ou postule, de toute nécessité et de toute évidence, une expérience directe et intime de la part de l’auteur. « Qui parle si bien et avec tant d’émotion de l’amour, l’a ressenti, » écrivait Taine, dans des notes inédites qu’il a laissées sur Pascal. Est-ce bien sûr ? Rappelons-nous ce que nous disait si justement tout à l’heure l’auteur, quel qu’il soit, du Discours. « Nous connaissons l’esprit des hommes, et par conséquent leurs passions, par la comparaison que nous faisons de nous-mêmes avec les autres. » En d’autres termes encore, nous avons tous, tant que nous sommes, tous les germes, plus ou moins développés, de toutes les passions en nous-mêmes ; et en prolongeant en quelque sorte par l’imagination, jusqu’à leur complet épanouissement virtuel, ces passions commençantes ou réprimées, en comparant celles que nous éprouvons avec celles d’autrui, telles que l’observation sociale nous les révèle dans leurs effets extérieurs, nous pouvons nous figurer très exactement ces passions que, nous autres, nous ne ressentons guère, dans leur réalité intime et vivante. Et voilà pourquoi tous les grands peintres du cœur humain n’ont pas eu besoin d’éprouver pour leur propre compte les passions dont ils nous ont laissé des descriptions si saisissantes. Ni Molière, ni Balzac, que nous sachions, n’ont eu quelque pente à l’avarice ; en ont-ils moins bien su faire vivre devant nous Harpagon et le bonhomme Grandet ? Il en va de même, — et peut-être à plus forte raison, — des passions de l’amour. Un peu de réflexion sur soi, un peu d’expérience de la vie et des hommes suffisent pour nous les représenter à nous-mêmes avec une vérité fort satisfaisante ; une certaine finesse psychologique, un certain tour d’imagination et de style suffisent pour les représenter aux autres. Et l’auteur du Discours, — et surtout s’il avait du génie, et s’il s’appelait Blaise Pascal, — a fort bien pu, sans être amoureux lui-même et sans avoir recours à son expérience personnelle, disserter avec esprit, avec pénétration, avec profondeur, avec émotion même sur les passions de l’amour.

« Le Discours, conclut M. Brunschvicg, est loin de prouver que Pascal ait été véritablement amoureux ; quelques expressions témoignent de sentimens trop finement décrits pour ne pas avoir été éprouvés [cela même est-il sûr ? ], mais il ne s’y agit que des commencemens de l’amour, d’un attachement idéal. Tout le reste est une dissertation subtile et abstraite, qui fait infiniment