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passionnées s’expriment parfois dans la langue la plus impersonnelle et la plus raisonnable du monde, et elles disent ou font entendre à ceux à qui elles s’adressent, et qui les connaissent, tout ce qu’elles veulent signifier. D’autres âmes, au contraire, très froides et même sèches, s’expriment dans une langue exubérante et tumultueuse qui donnerait aisément le change à ceux qui ne les connaîtraient guère. En d’autres termes encore, il faut connaître les vrais sentimens d’une âme pour les retrouver à travers son langage ; et, pour avoir le droit d’affirmer que le Discours sur les passions de l’amour est l’œuvre d’un amoureux, il faudrait qu’on sût par ailleurs que l’auteur du Discours a été réellement amoureux. Et cela fait un cercle, comme dit quelque part Pascal, d’où il paraît, présentement, bien difficile de sortir.

Veut-on voir d’ailleurs combien les interprétations auxquelles on se livre, en pareil cas, sont nécessairement conjecturales, hasardeuses, toutes subjectives, et, partant, toujours sujettes à caution ? — « Quand nous aimons, — écrit l’auteur du Discours, — nous nous sentons tout autres que nous étions auparavant. Ainsi, nous nous imaginons que tout le monde s’en aperçoit : cependant, il n’y a rien de si faux. Mais parce que la raison a sa vue bornée par la passion, l’on ne peut s’assurer et l’on est toujours dans la défiance. Quand on aime, on s’imagine que l’on découvrirait la passion d’un autre. Aussi, on a peur. » Et M. Faguet de s’écrier : « Est-ce qu’il ne vous semble pas qu’ici non seulement Pascal dit je à chaque ligne ; mais qu’il vit devant nous et qu’on le voit dans toute sa délicate timidité et dans toute son inquiétude ? » — Si Pascal, — ou l’auteur du Discours, — a été amoureux au moment où il écrivait, M. Faguet a raison. Mais si, d’aventure, il ne l’était pas ? A voir froidement les choses, il me semble que ces quelques lignes, qui peuvent être assurément d’un amoureux, peuvent être tout aussi bien d’un psychologue désintéressé, qui a vécu dans le monde, a observé des amoureux, et a réfléchi sur « les passions de l’amour. » L’expérience personnelle n’est peut-être pas ici nécessaire. Ailleurs, on lit dans le Discours : « L’égarement à aimer en divers endroits est aussi monstrueux que l’injustice dans l’esprit. » — « Mot d’un amoureux, reprend M. Faguet, mot d’un amoureux qui ne saurait aimer qu’une personne. Le mot monstrueux (seul, du reste, dans toute la phrase) trahit le sentiment personnel, à