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II

Supposons qu’il soit un jour établi, sans contestation possible, que le Discours sur les passions de l’amour est bien de Pascal. Suivrait-il de là que Pascal eût été amoureux ? M. Faguet le pense, et il n’est pas seul à le penser ; mais personne n’a tenté de cela une démonstration plus ingénieusement persuasive. « Le Discours sur les passions de l’amour, déclare-t-il, n’est pas un jeu d’esprit et une gageure ; il prouve que Pascal a été amoureux, et très vivement ; il a un accent parfaitement personnel ; il est tantôt une dissertation, tantôt une véritable confidence. » Et s’attachant à la partie du Discours qu’il considère « comme une confidence continue, » il la cite, il la commente, avec infiniment d’esprit, et de pénétration morale, et de bonne grâce, et de malice aussi, « sollicitant » de temps à autre les textes, multipliant les « évidemment, » les « raisonnable, » les « il faut, » pour obtenir l’adhésion de son lecteur ; et il conclut avec assurance :


Le Discours sur les Passions de l’amour est donc une confidence : c’est même un fragment autobiographique. On en peut tirer ceci, sans craindre de s’égarer le moins du monde : Pascal a été amoureux, — il a été amoureux d’une personne de condition supérieure à la sienne, — il s’est cru aimé ou a cru que la personne, au moins, n’était point indifférente à son affection, — il ne s’est jamais déclaré, — il a passé par les alternatives de bonheur et de tristesse (je dis de bonheur parce que, comme dit la Rochefoucauld : « Le plaisir de l’amour est d’aimer ») que cette situation comporte toujours, — finalement il a été désespéré : les dernières lignes du discours sont un cri tragique.

Voilà ce dont je crois être sûr…


Voilà ce dont je suis un peu moins sûr que M. Emile Faguet.

Tout d’abord, — et M. Faguet est bien obligé d’en convenir, et il n’aurait pas besoin d’ailleurs d’un aussi abondant et ingénieux commentaire, s’il en était autrement, — l’aveu formel, la confidence proprement dite et non voilée fait entièrement défaut dans le Discours. Et dès lors, n’y a-t-il pas une remarque préalable qui s’impose ? En matière de sentimens, les mots n’ont guère qu’une valeur très relative, et celle-là précisément que veut leur attribuer la personne qui les emploie. Des âmes très