Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Forçant les prisons de la ville, les compagnons rendirent libres tous ceux qui étaient détenus pour contrebande ou pour délits similaires, laissant dans leurs chaînes les escrocs et les voleurs ; cependant que, au faubourg de la Madelaine, Mandrin déjeunait avec son état-major. Le prix du déjeuner monta à 52 écus. Il donna la pièce à la servante. Il avait mandé à son auberge le maire de Beaune, Pierre Gillet, qui avait jugé prudent de se cacher ; mais les Mandrins trouvèrent le précepteur de ses enfans, Claude Monnot, qu’ils menacèrent d’un coup de pistolet s’il n’amenait le maire sur-le-champ. Et le maire fut conduit, comme un prisonnier de guerre, entre deux contrebandiers, jusqu’au logis de la Petite-Notre-Dame, où Mandrin « tenait sa Cour. » Celui-ci se lève pour le recevoir ; il était très irrité. « Ce chef de bande, dit un des spectateurs, était bien pris de corps, résolu dans sa pose, bref de la parole et du geste. Son visage, énergique dans l’expression, était moitié hâlé, moitié terreux. »

Mandrin annonça au maire de Beaune qu’il frappait la ville d’une contribution de 25 000 livres pour lui apprendre, à lui et à ses administrés, à mieux accueillir les étrangers qui leur faisaient l’honneur de se présenter à leurs portes. Gillet se récria ; mais Mandrin était pressé et s’exprimait d’un ton vif et cassant :

« — Si vous manquez d’argent, adressez-vous aux employés des Fermes !

— Emmenons le maire à défaut d’argent, » insinuait, d’un ton goguenard, l’un des lieutenans de Mandrin.

« — Tu entends, Gillet, les camarades veulent t’emmener ? » appuyait le jeune capitaine.

Et comme le maire hésitait encore :

« — Gillet, tu as entendu ? »

On se mit finalement d’accord à 20 000 livres. Suivant le conseil de Mandrin, le maire les envoya quérir chez M. de Saint-Félix, receveur du grenier à sel, et chez l’entreposeur des tabacs, M. Estienne.

Comme on attendait que l’argent fût apporté, notre jeune « capitaine » se plaignit d’avoir bu à son auberge un vin qui avait mal défendu la réputation des grands crus de Beaune.

— J’en ai du bon dans ma cave, répondit M. Gillet, et je vous en offrirais de grand cœur si nous étions chez moi.

— Il faut l’aller chercher.

Ce qu’on fit par douze bouteilles.