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Et plus loin :


Ces beautés bizarres qui se donnent à Dieu pensent avoir éteint de vieilles ardeurs qui cherchent secrètement à se rallumer, et leurs amours n’ayant fait que changer d’objet, elles gardent pour leurs dernières souffrances les mêmes soupirs et les mêmes larmes qui ont exprimé leurs vieux tourmens ; elles n’ont rien retranché des premiers troubles d’un cœur amoureux, des craintes, des saisissemens, des transports ; elles n’ont rien perdu de ces chers mouvemens, des tendres désirs, des tristesses délicates et des langueurs précieuses…

J’en ai connu qui faisaient entrer dans leur dévotion le plaisir du changement, et qui, se dévouant à Dieu, goûtaient une joie malicieuse de l’infidélité qu’elles pensaient faire aux hommes.


Ailleurs, enfin :


En quelques-unes, Dieu est un nouvel amant qui les console de celui qu’elles ont perdu ; en quelques autres, la dévotion est un dessein d’intérêt et le mystère d’une nouvelle conduite. Vous en verrez de sombres et de retirées qui préfèrent les Tartufes aux galans bien faits, quelquefois par le goût d’une volupté obscure, quelquefois elles voulaient s’élever au ciel de bonne foi, et leur faiblesse les fait reposer en chemin avec les directeurs qui les conduisent…


Tout cela est d’un tour assez « libertin, » comme on disait alors, — si libertin même que l’éditeur de 1692 n’avait pas osé tout imprimer[1]. Si le copiste était janséniste, ou même bénédictin, ou même simplement clerc, on conçoit très bien que, attiré par le grand nom, — supposé, — de Pascal, il nous ait conservé le Discours : on ne comprend pas du tout qu’il ait pris la peine de copier ces quelques pages de Saint-Evremond. La conjecture la plus vraisemblable que suggère tout cet ensemble d’observations est peut-être la suivante. Un copiste laïque, et très laïque, sans rapports, que nous sachions, avec le monde janséniste, a eu

  1. La Lettre est publiée intégralement au tome I de l’édition de 1705 des Œuvres meslées de M. de Saint-Evremond (Londres, chez Jacob Tonson) et dans les éditions suivantes. Elle est intitulée simplement à Madame de ***. L’édition de 1705, « publiée sur les manuscrits de l’auteur » par Silvestre et Des Maizeaux, est la première édition officielle et avouée de Saint-Evremond. « Il faut encore remarquer, disait la Préface, que dans les éditions de Paris, on a supprimé, ou du moins défiguré tous les noms, et qu’on a retranché bien des endroits qui paraissaient trop libres. » — Il y a donc tout lieu de croire que la copie de la Lettre dont nous nous occupons est antérieure à 1705 : car quel intérêt aurait-on eu, après 1705, à faire la copie d’une pièce qu’on pouvait lire tout au long sur l’imprimé ? Et peut-être la copie du Discours sur l’Amour est-elle également antérieure à cette date.