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son grand chapeau de feutre noir festonné d’or, à point d’Espagne, d’où s’échappent des cheveux en queue. A sa large ceinture sont fixés un couteau de chasse et deux pistolets. Il tient en main son fusil à deux coups armé d’une baïonnette. « Il avait le visage basané et pipé, un peu gravé de petite vérole. »

Les Mandrins se comportaient civilement dans les villes qu’ils occupaient et ne s’y attaquaient qu’aux gens de la Ferme ; mais ils n’admettaient pas qu’on leur fît l’injure de les recevoir aux sons du tocsin, avec des bourgeois en armes aux barrières et en leur fermant les portes au nez. Leur dignité les obligeait, disaient-ils, à faire payer ces outrages.

La prudence leur commandait en outre, dans une ville qui leur paraissait hostile, de ne permettre à aucun habitant de demeurer dans la rue. Ils tiraient indistinctement sur quiconque montrait un coin de son visage. En quelques instans, ils eurent rendu toutes les rues de Beaune désertes et fait clore tous les volets. Au reste c’était invariablement leur tactique dans les localités où ils ne sentaient pas que l’opinion publique était pour eux.

Mandrin descendit au « logis » de « la Petite-Notre-Dame, » faubourg de la Madelaine. C’était l’auberge la plus voisine de la ville, car il ne voulait pas pénétrer à l’intérieur des remparts, se sachant poursuivi par les soldats du Roi. Il plaça des sentinelles à la porte, et, après avoir mis ses pistolets sur le lit de la chambre où il s’installa, il commença à donner ses ordres. Il plaça des hommes à la tête du pont de la ville, d’autres à la porte et d’autres sur les remparts ; puis il fit entrer dans Beaune trente de ses compagnons, distribués en trois corps de dix hommes chacun, qui se suivaient à cent pas de distance.

Les trente Mandrins longèrent Saint-Pierre et s’engagèrent dans la Grand’rue. Tout passant, ou bien tout curieux qui mettait le nez à la fenêtre, attrapait un coup de fusil. Ils arrivèrent ainsi au corps de garde dont ils s’emparèrent. Quelques balles logées dans l’horloge communale firent cesser le tocsin. « Ils donnèrent tant d’épouvante et causèrent tant d’alarmes qu’on ne savait que devenir. »

L’Hôtel de Ville, dont les Mandrins se rendirent maîtres, était une petite construction du XIVe siècle, conservée en partie. Une dizaine de contrebandiers se mirent en l’action sur la place. Dans les rues désertes quelques chiens vaguaient à la recherche de leurs maîtres.