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littérature malsaine et démoralisante aidant, la discipline faiblit. Chaque jour en apporte une preuve nouvelle ; il serait impossible au plus optimiste de le nier ; les faits s’accumulent. Il ne suffisait pas encore de saper la discipline par des mesures imprudentes, il fallait aussi supprimer la crainte du châtiment qui pouvait encore la maintenir quelque peu. Supprimons donc les conseils de guerre ! Cependant, à la suite des incidens du Midi, le gouvernement n’osa pas faire discuter son projet relatif à cette suppression ; il sentait que l’opinion émue ne le suivrait peut-être pas. Mais on oublie vite, et tout dernièrement le Conseil général d’un département émit un vœu demandant au gouvernement de présenter son projet dès la rentrée des Chambres.

Ce n’est pas tout encore. Nous avons vu la politique maîtresse de l’avancement des officiers ; elle s’infiltre aussi dans les rangs inférieurs. Conformément aux prescriptions d’une circulaire du 24 juillet 1903 et d’une instruction du 14 septembre 1906, les congés de soutiens de famille, les devancemens d’appel et les ajournemens des réservistes, les permissions pour les moissons ne sont plus accordés par les chefs de corps sans l’avis favorable du préfet. Malheur aux familles taxées de tiédeur envers le gouvernement par les délégués qui, dans chaque commune, sont les vils espions de la Préfecture ! Elles n’ont aucune justice à espérer. Jamais régime autocratique ne fut plus cynique.

Nous devons cette vérité au pays : l’armée se désorganise. Elle a tous les élémens nécessaires pour être la première du monde et, ce qui le prouve, c’est sa résistance même aux persistans efforts de ses ennemis intérieurs. Tandis que l’Allemagne fait tout pour créer, entretenir et fortifier la valeur morale collective de son armée, nous démolissons tout pierre par pierre. Il est temps, il est grand temps de nous ressaisir ; le mal n’est pas encore incurable ; n’attendons pas qu’il le devienne. Jusqu’ici, les jeunes gens incorporés à vingt et un ans n’ont pas encore été contaminés ; ils forment d’excellens soldats chez lesquels on éveille facilement les qualités natives endormies, les nobles ardeurs étouffées. Seuls les réservistes sont touchés, empoisonnés par les orateurs de ces réunions publiques où le drapeau tricolore est planté dans le fumier, où le mot de patrie est ridiculisé. Mais il est facile de constater, chez les jeunes gens de quinze à seize ans et au-dessous, les effets du poison versé sur toute une