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servi prudemment et loyalement ; il ne pouvait prévoir ce que ferait de cette arme son successeur, esclave d’une association directrice néfaste. Un système de délation, qui est une honte, fonctionna régulièrement, et l’avancement tomba de la sorte dans les attributions d’une secte politique. Non seulement ainsi on arrivait au favoritisme le plus scandaleux, mais aussi à l’abaissement des caractères, et l’on oblitérait les consciences. Le fait suivant, qui s’est passé récemment, en donne une preuve : un officier de grade élevé, président d’un conseil de guerre, a pu répondre à un témoin qui se plaignait d’avoir été traité de délateur : « Ce n’est pas une injure. » Tel est l’effet du poison officiel !

Les commissions de classement, ayant le droit de proposer, pouvaient donc éliminer les officiers qu’elles jugeaient incapables ; c’était un frein à l’omnipotence du ministre qui voulait être libre de choisir sans restriction tous les sujets, quelque médiocres qu’ils fussent, donnant des garanties aux sectaires. Aussi un décret du 15 mars 1901 supprima les commissions et les listes de proposition et décida qu’il serait établi, dans chaque corps d’armée, des listes portant tous les candidats remplissant les conditions légales pour l’avancement au choix. Les différens chefs hiérarchiques indiquent sur ces listes, dans des colonnes spéciales, le numéro de préférence qu’ils accordent à chaque sujet ; quand un officier est jugé incapable de passer au choix, le chef met devant son nom la mention « ajourné. » Il n’y avait plus dès lors et il n’y a plus encore maintenant aucun frein à l’arbitraire ; on voit, chaque année, le ministre évincer du tableau les officiers les plus appréciés et porter son choix non seulement sur ceux qui sont présentés les derniers, mais même sur les ajournés ! Quelle déconsidération pour le commandement ! Mais c’est ce qu’on voulait : on ne saurait nier que l’avancement, à partir de ce moment, dépend uniquement d’influences non militaires.

Qu’en résulte-t-il ? D’abord l’amoindrissement du commandement, qui n’a plus d’influence sur la carrière des officiers. Ceux-ci voient que leur avenir ne dépend plus de leur valeur militaire. Les uns, systématiquement écartés, perdent peu à peu le feu sacré, le zèle, se découragent, s’abandonnent, deviennent des serviteurs médiocres, ou bien quittent l’armée : le nombre des officiers qui ont ainsi abandonné la partie est effrayant et, il faut être sincère, ce sont souvent les meilleurs. N’est-ce pas, par