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les mille et une légendes qui sont venues jusqu’à nous. Arrivait-il qu’on arrêtât quelqu’un ? c’était Mandrin. Parlait-on d’un audacieux coup de main ? il était l’œuvre de Mandrin. Où n’avait-on pas vu Mandrin ? — il était partout à la fois. De là cette infinie quantité de gobelets dans lesquels il a bu, de bottes qu’il a chaussées, de fers dont sa jument noire a été ferrée, de pièces d’indienne dont il a fait présent à des dames de château et de pistolets et d’épées dont il a exterminé les « suppôts » de la Ferme, reliques conservées dans tous les coins de la France. « La mode est venue, écrit l’abbé d’Aurelle, de faire sortir les Mandrins comme des champignons du sein de la terre. »

La Savoie, sous l’autorité du roi de Sardaigne, Charles-Emmanuel III, était l’asile des margandiers qui avaient soin de s’y faire bien venir de tout le monde. « Mandrin était reçu en bienfaiteur du pays, note un contemporain. Les meilleurs vins lui étaient réservés, le meilleur fourrage était pour ses chevaux ; chaque maison faisait avec joie des préparatifs pour loger l’un des siens. »

Pour surveiller Mandrin et sa bande, le gouvernement français entretenait en Suisse de nombreux espions. L’un d’eux, un officier suisse du nom de Georgy, parvint à entrer directement en rapport avec le jeune « capitaine ». « Mandrin me fit très bon accueil, » note Georgy. Comme celui-ci avait l’accent étranger, il feignit d’être au service de la reine de Hongrie, Marie-Thérèse. Il fit espérer au contrebandier qu’il parviendrait, en utilisant ses relations, à le faire entrer dans l’armée autrichienne. Devenir un soldat était le rêve de Mandrin, qui goûta sa proposition et lui offrit tout l’argent dont il pourrait avoir besoin pour mener ce projet à bonne fin.

Cependant le jeune contrebandier eût préféré prendre service dans l’armée française. Il montra à Georgy une lettre qui lui aurait été écrite par le comte d’Argenson, ministre de la Guerre. « Après lui avoir fait voir la fin honteuse qui l’attendait, cette lettre lui promettait sa grâce. » Néanmoins, ajouta Mandrin, je n’ai pas trouvé assez de sécurité dans ces assurances. Il avait raison. C’était un piège qui lui était tendu pour le faire tomber dans un guet-apens.

« — J’aime ma patrie, dit-il encore, et je ne crois pas avoir manqué au Roi en m’en prenant aux fermiers généraux. »

Puis il lui conta comment les Fermes lui avaient fait perdre