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Thomas devait reprendre un peu plus tard à son compte et remettre si fort en honneur. Et la philosophie de saint Thomas a-t-elle été elle-même acceptée par tous du premier coup ? Non : elle a été à son tour discutée et combattue par des voix ecclésiastiques : il lui a fallu du temps pour s’imposer. Mais, pour nous en tenir à Grégoire IX, quel résultat a eu son intervention en juillet 1228, date de la lettre citée par l’Encyclique ? Un concile provincial tenu à Paris, en 1210, avait déjà interdit sous les peines les plus sévères la lecture d’Aristote. Cependant il continua d’être lu et admiré, et bientôt un certain nombre de régens de l’Université de Paris s’adressèrent au Pape pour le supplier de revenir sur la sentence qu’il avait prononcée et de remettre la question à l’étude. Grégoire IX maintint l’interdiction de lire en public les livres d’Aristote, mais en même temps il promit d’en modifier les termes, et, en effet, quelques jours après, il écrivit à Me Guillaume d’Auxerre, archidiacre de Beauvais, et à deux autres théologiens alors en renom une lettre dont voici un passage : « Ayant appris que les livres de philosophie naturelle, interdits à Paris par le concile provincial, passent pour contenir à la fois certaines choses utiles et certaines choses nuisibles, afin que le nuisible ne porte pas dommage à l’utile, nous enjoignons formellement à votre prudence, en laquelle nous avons placé notre confiance entière, par cette lettre munie du sceau de l’Apôtre, sous l’invocation du jugement éternel, d’examiner ces livres avec l’attention, la rigueur convenables, et d’en retrancher scrupuleusement toute erreur capable de scandaliser et d’offenser les lecteurs, afin qu’après le retranchement des passages suspects ces livres puissent sans retard et sans danger être pour tout le reste rendus à l’étude. » Quelle différence entre ces deux lettres de Grégoire IX, qui se rapportent au même objet ! L’une est de 1228, l’autre de 1231. L’Encyclique n’a reproduit que la première. Après la seconde, Aristote a obtenu progressivement droit de cité dans l’Église, et bientôt saint Thomas le lui a assuré définitivement. Cet exemple prouve qu’on peut toujours en appeler du Pape au Pape lui-même, et que, s’il n’y a rien de plus difficile que de séparer l’ivraie du bon grain, il n’y a non plus rien de plus nécessaire.


La conférence de La Haye a terminé discrètement ses travaux. Il faut bien avouer que l’opinion ne les a pas suivis avec tout l’intérêt qu’ils auraient certainement mérité ; mais ce n’est pas tout à fait sa faute. D’abord, pendant que les hommes de bonne volonté réunis à La Haye travaillaient à rendre la guerre plus rare ou à en adoucir les