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qui ne cadre pas avec les découvertes des temps postérieurs, ou qui n’ait enfin aucune probabilité, il est bien loin de notre esprit de vouloir le proposer à limitation des générations présentes. » Prenez garde, dirons-nous respectueusement à l’auteur de l’Encyclique, tout le modernisme, ou peu s’en faut, passera par la porte que vous entre-bâillez ! Pour connaître ce qui ne cadre pas avec les découvertes des temps postérieurs, il faut étudier ces découvertes et les connaître : comment mettre d’accord cette obligation avec les précautions extraordinaires, minutieuses, impérieuses, qu’accumule l’Encyclique dans sa partie pratique pour interdire aux prêtres et aux laïques la lecture des livres qui pourraient troubler la tranquillité de leur foi ? Jamais on n’avait pris plus de soins pour élever une barrière plus infranchissable entre la pensée moderne d’une part et la pensée religieuse de l’autre. Des catholiques allemands ont demandé, — les présomptueux ! — la suppression de l’Inquisition et de l’Index : l’Encyclique leur répond en établissant en petit, mais singulièrement actives, une congrégation du Saint-Office et une congrégation de l’Index dans chaque diocèse du monde. On est surpris et un peu effrayé en songeant combien de choses les catholiques devront ignorer ! On ne l’est pas moins lorsqu’on songe à tous les « comités de vigilance, » qui travailleront dans l’ombre, pour découvrir et dénoncer le péché de modernisme, à l’insu même de ceux qui l’auront commis et sans qu’ils soient appelés à s’en expliquer : organisation redoutable à coup sûr, mais dont on se demande en vérité si elle est viable.

Les modernistes doivent-ils donc désespérer ? Sont-ils condamnés sans retour ? Doivent-ils pour jamais fermer leurs livres et briser leurs plumes ? Qui sait ? Un passage de l’Encyclique nous a plongés dans une sorte de rêverie historique. C’est celui où est citée une lettre de Grégoire IX aux maîtres de théologie de Paris. Les modernistes, dit Pie X, méritent qu’on leur applique ce que Grégoire IX, un de nos prédécesseurs, écrivait de certains théologiens de son temps : « Il en est parmi vous, gonflés d’esprit de vanité ainsi que des outres, qui s’efforcent de déplacer, par des nouveautés profanes, les bornes qu’ont fixées les Pères ; qui plient les Saintes Lettres aux doctrines de la philosophie rationnelle, par pure ostentation de science, sans viser à aucun profit des auditeurs… ; qui, séduits par d’insolites et bizarres doctrines, mettent queue en tête et à la servante assujettissent la reine. » Cette lettre de Grégoire IX ressemble, en effet à l’Encyclique actuelle. Mais quelle est la « philosophie rationnelle » qu’elle dénonce avec un accent si décisif ? C’est celle d’Aristote, que saint