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lui révèle. L’Encyclique reproche aux modernistes de pousser l’agnosticisme au point de refuser à l’esprit humain la simple notion de Dieu. Vont-ils vraiment jusque-là ? La vérité est que, nés après Kant, ils ont poussé très loin l’analyse de l’esprit humain, qu’ils en ont marqué les limites, qu’ils ont reconnu le caractère de contingence qu’il imprime à tout ce qui s’y reflète, qu’ils l’ont réduit à ne voir que des phénomènes, c’est-à-dire des images, et lui ont contesté la perception directe des choses. Mais, au total, tout cela ne prouve que davantage la nécessité pour l’esprit humain de trouver un concours, un secours en dehors de lui-même, et une certaine somme d’agnosticisme s’accorde très bien avec la religion.

L’accusation d’immanentisme est plus grave. Que signifie ce mot barbare ? Il signifie, si nous avons bien compris, qu’il y a dans la subconscience un besoin religieux qui y est immanent, permanent, et qui cherche sa satisfaction dans la première élaboration du dogme. Il se produit là une sorte de poussée intérieure, instinctive au début et confuse, qui n’est en somme qu’un sentiment : et l’Encyclique reproche aux modernistes de réduire la religion à un sentiment, et même à un sentiment individuel. Pourtant, elle reconnaît elle-même que, d’après les modernistes, ce germe d’abord obscur est bientôt éclairé par l’intelligence : celle-ci a donc un rôle à jouer dans l’élaboration religieuse, et c’est ce que quelques-uns expriment en disant que le catholique pense le dogme. Cette pensée est-elle purement individuelle ? Les livres des modernistes affirment presque tous le caractère social et traditionnel de ce qu’ils appellent l’expérience religieuse, et, de plus, ils regardent l’Église comme l’organe et l’interprète nécessaire de cette expérience. L’un d’eux dit en propres termes que l’Église est l’organisation régulière de l’expérience religieuse collective et durable. Mais il faut bien reconnaître qu’une doctrine qui donne en quelque sorte l’esprit humain pour berceau au dogme laisse peu de place au surnaturel : elle expose la vérité religieuse à participer à toutes les infirmités de cet esprit au milieu desquelles elle naît, se développe et évolue.

Quant à l’évolutionnisme, on sait que le mot et la chose sont à la mode : les modernistes, s’ils méritent vraiment le nom qu’on leur donne, devaient être tentés d’introduire l’évolution dans le domaine religieux, bien que, à notre avis, ce soit celui de tous où elle ait le moins affaire. La vérité religieuse n’évolue pas : c’est l’esprit humain qui évolue autour d’elle, parce qu’il ne peut jamais l’embrasser tout entière et qu’il ne la découvre que partiellement et progressivement.