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Quant au mobilier, dans le premier moment d’exaspération on pensa à le mettre en pièces. Il parut plus pratique de le mettre à l’encan. Devant une table, dans la rue étroite, l’un des Mandrins s’est improvisé commissaire-priseur. La foule des habitans a été attirée au roulement du tambour. La gendarmerie même est arrivée pour veiller par sa présence à la bonne tenue de la vente. Au reste, au cours de toute cette épopée, la maréchaussée ne cessa de se montrer, vis-à-vis des contrebandiers, d’une correction et d’une bonne grâce parfaites.

Et se dispersent, « au vent des enchères, » le grand lit de damas à la duchesse et le beau lit à la turque en satin bleu avec ses couvertures de laine de Ségovie, les courtes-pointes en dentelle du Puy, et le lit à niche de drap écarlate, et le lit à tombeau de cadis vert, et beaucoup d’autres lits encore ; sont vendus au plus offrant la belle tapisserie en point de Hongrie et les tapisseries de Bergame, les tableaux et les miroirs, bahuts et crédences, chiffonniers et guéridons ; tous les livres de la bibliothèque.

La garde-robe de M. et Mme Dupin était d’une abondance merveilleuse. Une infinie quantité de chemises, de corsets, de camisoles, de mouchoirs et de tabliers ; des palatines et des cornettes, des coeffes, des bonnets, des guimpes et des manchettes, dont l’inventaire nous a été conservé ; toutes les robes de Madame, ses jupons, ses manteaux de lit, ses souliers et ses pantoufles, ses rubans, pompons, bracelets, colliers et mille et une fanfioles, et les habits de monsieur ; puis la garde-robe de Mlle Dupin et celle de MM. Dupin fils ; le linge, la batterie de cuisine, les meubles et une infinie quantité de bibelots, furent vendus deniers comptans.

On croit voir la scène dans la ruelle étroite : les chevaux qui hennissent, les ballots empilés contre les murs, l’agitation affairée des contrebandiers aux larges chapeaux de feutre noir, vendant à la criée les meubles et les hardes de M. l’entreposeur des Fermes, aux gens du pays en sarraux bleus et chapeaux ronds, les femmes en bonnets blancs noués de rubans de couleur, qui se pressent pour profiter des occasions, — et les gendarmes impassibles veillant à ce que la vente se passe régulièrement.

Dans les greniers, on trouva un important dépôt de blé. Mandrin voulait l’enlever, quand on lui fit observer qu’il n’appartenait pas à l’entreposeur, mais à un bourgeois de la ville qui l’y avait mis en dépôt. Le bonhomme était là, suppliant qu’on