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en ville, est accouru au bruit de la fusillade ; mais c’est en vain que les compagnons déchargent leurs armes. Les balles s’aplatissent aux murs et à peine parviennent-elles à percer les contre-vens de bois plein dont les fenêtres sont fermées.

On s’était procuré un lourd marteau de maréchal ferrant, avec lequel, malgré les balles et les pavés qui pleuvaient des étages supérieurs, on s’efforçait d’enfoncer à grands coups la porte, sous la direction de Mandrin. Vainement. C’est alors que l’un des contrebandiers, nommé Binbarade, suivi d’une quinzaine de compagnons, grimpèrent sur la toiture d’une maison voisine, d’où ils cherchèrent, en démolissant une muraille de peu de résistance, à pénétrer dans l’entrepôt. La fusillade continuait entre gâpians et margandiers, crépitant du côté de la rue et se répétant en un écho bruyant au haut des toits. Sur les Mandrins, qui se pressaient au pied de l’édifice, les « employés » faisaient pleuvoir une grêle de grosses pierres. Le faîte des maisons voisines était garni de contrebandiers. On les voyait debout ou accroupis dans les gouttières, leurs chapeaux à larges bords se découpant en noir sur la clarté du ciel. C’est dans ce moment que Binbarade fut blessé d’un coup de feu à la bouche, dont il eut une partie des dents fracassées. Un de ses camarades, Bernard dit la Tendresse, également grimpé sur le toit, eut la main gauche déchirée d’un coup de fusil. Mais la résistance des « employés, » pris entre deux feux, ne tarda pas à faiblir. Une blessure reçue par leur chef, le capitaine général, fut le signal de la débandade. Les défenseurs se sauvèrent de toit en toit. C’est à peine si Mme Dupin, la femme de l’entreposeur, parvint à s’échapper par les maisons voisines.

On imagine la fureur des margandiers. Ils ne parlaient de rien moins que de promener les têtes du capitaine général des Fermes, de l’entreposeur et de sa femme, au bout de piques, dans les rues de la cité. La maison fut saccagée du grenier à la cave. Dans la cave, les compagnons trouvèrent du bon vin de Tavelle, douze bouteilles de ratafia, quatre bouteilles de vin d’Alicante, dix bouteilles de vin de Xérès, vingt-cinq bouteilles de vin muscat, cinquante bouteilles de vin de Bourgogne, et quatre bouteilles d’eau de la Côte, la fameuse liqueur de la Côte-Saint-André, le pays de Mandrin, pour laquelle celui-ci avait une prédilection particulière. Dans le cellier, du lard, des jambons, des saucisses. Le tout fut bu, mangé ou emporté.