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l’enchaînait à l’Etat ; pour devenir une maîtresse de l’opinion, il eût fallu, d’abord, qu’elle cessât d’être une branche de l’administration. Ce que l’Église protestante ne pouvait devenir, il ne fallait pas que l’Eglise catholique le fût ; il ne fallait pas qu’à la faveur de son autonomie, elle déployât plus d’énergies que n’en pouvaient déployer, dans l’armature d’Etat qui les enserrait, les Eglises évangéliques. Toute la philosophie politique et religieuse du piétisme se résumait en une jalousie qui devait s’exacerber, naturellement, aux heures où l’Eglise romaine était libre, et s’assoupir, au contraire, aux heures où elle recommençait d’être opprimée. L’administration de Kleist-Retzow dans les provinces rhénanes coïncidait avec un soubresaut de jalousie. Elle eut cet effet de tenir en haleine les forces catholiques, de les rendre d’autant plus redoutables qu’elles avaient conscience d’être redoutées, et d’enraciner plus profondément encore, dans les âmes rhénanes, un certain esprit d’autonomie démocratique, dont l’émancipation catholique devait profiter. C’est sur terre rhénane que se dessinait avec le plus de relief l’opposition entre l’esprit d’allègre tolérance des hommes politiques catholiques et l’impérieuse raideur des fonctionnaires inféodés au conservatisme évangélique : le contraste s’accentuait dans les moindres détails, puisqu’on vit un jour l’administration piétiste défendre à des musiciens ambulans de faire danser les paysans, et Reichensperger monter à la tribune pour plaider la cause des bals champêtres.


IV

L’été de 1852 mit aux prises les catholiques et les champions de l’Etat évangélique. Dès le mois de mai, Frédéric-Guillaume demandait à Manteuffel s’il ne convenait pas de prendre quelques mesures restrictives contrôles missions catholiques prêchées par des prêtres étrangers. Ernest Louis de Gerlach était là : il remontra, tout de suite, qu’on n’était pas assez puissant pour s’opposer aux missions, et qu’on ne le devait point : les fonctionnaires avaient des attributions de police qu’ils étaient libres d’exercer ; cela suffisait. On savait d’ailleurs, à Berlin, qu’à la suite de certains sermons, des voleurs avaient restitué, ce qui était bien, et que des radicaux s’étaient convertis, ce qui était mieux. Cependant, les suspicions protestantes prévalurent ; et Raumer, ministre des Cultes, par deux circulaires du 22 mai et