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des rois de l’Allemagne eût rêvé de donner comme évêque à son peuple, n’avait rien d’un préfet en soutane. En lui s’incarnait la puissance nouvelle de l’Eglise, puissance distincte de celle de l’Etat, reconnue comme personne indépendante dans ses tractations avec l’État. Les rapports entre les deux pouvoirs, tels qu’ils résultaient des événemens de 1848, étaient en quelque sorte des rapports diplomatiques.

L’Etat naguère donnait des ordres, auxquels l’Église souvent était contrainte de désobéir ; mais désormais l’État avait cessé d’être tyran, l’Église d’être indocile. L’État et l’Église négociaient, au jour le jour, pour leurs menues difficultés. Lorsque le roi de Prusse recevait Geissel, représentant de plusieurs millions de consciences, il ne voyait pas en lui un sujet, mais un ambassadeur ; et dans ce seul fait il y avait une victoire pour l’Eglise de Prusse. Geissel fut, dans toute la force du terme, l’homme d’Église, l’homme de l’Église, en face des hommes de l’État ; il n’avait pas, à leur endroit, l’attitude soupçonneuse d’un adversaire éventuel ; il apparaissait devant eux comme un interlocuteur de bonne compagnie, scrupuleusement désireux d’aménager au jour le jour les meilleures conditions de paix. Le roi de Prusse et Geissel, c’étaient deux autorités qui s’accordaient. Les vieux mots des canonistes d’Etat : jus circa sacra, jus in sacra, tombaient lentement en désuétude. Deux personnes augustes que l’ordonnance sociale contraint de voisiner entre elles, l’État et l’Église, traitaient de concert, à l’amiable, les questions courantes de mitoyenneté.

La causerie ne donnait pas l’impression d’un duel ; les satisfactions accordées à l’Eglise n’étaient pas accueillies par des fanfares de triomphe. Geissel, qui aimait mieux continuer à vaincre que se flatter d’avoir vaincu, était soucieux, avant tout, de ne jamais pousser la victoire au-delà de ce qu’exigeaient les intérêts effectifs de son Dieu. Un jour de 1852, au moment même où les cardinaux français venaient de prendre place dans le sénat organisé par Louis-Napoléon, les évêques de Prusse furent l’objet d’une séduisante proposition : ils étaient invités à faire partie de la Chambre des Seigneurs, à Berlin. Quinze ans après l’emprisonnement de l’archevêque Droste-Vischering, son successeur Geissel pouvait, de droit, devenir législateur. Nous avons, sur cette question, un long mémoire de Geissel à Diepenbrock : il entrevit tout de suite combien il serait dangereux pour les