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expression de Tessé, ne seraient pas demeurés sans emploi. Elle aurait déployé sur le trône cette volonté habile et ferme qu’elle avait su mettre au service du Duc de Bourgogne lorsqu’elle prit sa défense contre Vendôme, et dont la séduction personnelle était un des principaux moyens d’action. Elle aurait fléchi ce qu’il y avait en lui de trop rigide ; l’austérité du mari tempérée par les grâces de la femme aurait assuré à la France un règne unique et conjuré vraisemblablement la catastrophe que le règne de Louis XV rendit inévitable.

Il a fallu tout un siècle de sophismes dont l’histoire véritable commence à dissiper les brouillards, pour faire dater de cette catastrophe la régénération de la France, alors que, depuis sa rupture avec la monarchie, elle a au contraire perdu son équilibre politique. Depuis cette date, la France a connu bien des vicissitudes. Elle a tour à tour excité l’admiration, l’envie et la sympathie du monde. Elle a repoussé victorieusement l’Europe coalisée ; elle a promené son drapeau de capitales en capitales, et elle a, pour un jour, paru reconstituer à son profit l’empire de Charlemagne. Mais elle a vu trois fois son territoire envahi, et les drapeaux de l’étranger flotter à leur tour dans sa propre capitale. Elle a vu aussi la guillotine transformée, sur la place publique, en instrument de règne, et le palais de ses rois livré aux flammes par la main de ses propres enfans. Aucune de ces épreuves ne l’a définitivement abattue, et, lorsqu’elle semblait tombée le plus bas, elle a toujours fait preuve d’une qualité indomptable qui, à travers toute son histoire, pas plus au lendemain de la guerre de Cent ans que des guerres de religion, ne lui a jamais fait défaut : la vitalité. Du fond de l’abîme, toujours elle a rebondi. Deux fois, au cours du siècle dernier, blessée, semblait-il à mort, elle a solitairement pansé ses blessures ; elle s’est relevée sans appeler personne à son aide, et, par son patient travail comme par la dignité silencieuse de son attitude, quel que fût le régime qu’elle s’était donné, aussi bien sous la Restauration que sous la République, elle a reconquis peu à peu l’estime du monde et lui a appris à compter de nouveau avec elle. Aussi, sans obéir à un patriotisme de commande, et simplement après avoir relu son histoire, est-il permis de répondre que Saint-Simon et Beauvilliers se trompaient : on n’enterre jamais la France.


HAUSSONVILLE.