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patriotisme prend la forme d’une inquiétude mortelle sur l’avenir de notre pays, répondront sans hésitation que ces paroles de Saint-Simon étaient une prophétie. Assurément, quelque chose de grand fut enterré à Saint-Denis le jour où l’on descendit le cercueil du Duc de Bourgogne dans le caveau où, à la veille de la profanation, reposaient les ossemens de cinquante-quatre princes de sa maison. Ce n’était rien moins que la vieille monarchie, c’est-à-dire l’instrument qui avait forgé la grandeur de la France, l’épée qui avait repoussé ses assaillans, la politique patiente et prudente qui, préparant de loin les choses, avait, moins par la voie de la conquête brutale que par celle de l’annexion consentie, poussé le domaine royal et national, depuis le petit noyau de l’Ile-de-France, à l’Ouest jusqu’à l’Océan, au Sud jusqu’aux Pyrénées, à l’Est jusqu’aux Alpes et au Rhin, et qui, au Nord, l’aurait assurément étendu jusqu’à l’embouchure de l’Escaut, si le temps lui en avait été laissé. Sans doute l’instrument commençait à se fausser ; la pointe de l’épée à s’émousser et sans doute aussi, à l’intérieur, la politique avait fait des fautes. Les ressorts de l’administration étaient tendus à l’excès ; leur dur engrenage broyait des victimes dont la patience était mise à trop rude épreuve ; il était nécessaire de réparer les uns, d’adoucir et de changer les autres. Mais rien ne montre qu’à l’époque où le Duc de Bourgogne aurait dû, suivant le cours ordinaire de la nature, monter sur le trône, il fût trop tard pour corriger ces erreurs, pour porter remède à ces maux, pour changer ces ressorts. Nous croyons avoir montré[1]que le Duc de Bourgogne avait la vue très nette de ces maux et la claire intelligence de quelques-uns de ces remèdes. Si les réformes qu’il se proposait d’entreprendre et qui auraient amené dans l’administration intérieure un incontestable progrès, paraissent, à qui les juge avec nos idées modernes, un peu timides, on peut dire que cette timidité même en aurait facilité le succès et que ce succès aurait insensiblement préparé l’avenir.

Il se peut qu’une certaine étroitesse d’esprit eût provoqué entre sa piété docile et la pensée bouillonnante du siècle des conflits inévitables ; mais il ne faut pas oublier qu’à côté de lui se serait fait sentir l’influence de la Duchesse de Bourgogne. « Ses talens qui se mitonnaient, » pour reprendre une

  1. Voyez, dans la Revue du 15 avril 1907 : Les Projets de gouvernement du Duc de Bourgogne.