Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mémoires secrets si les dépôts publics ne lui avaient été ouverts, et s’il n’avait eu connaissance des Mémoires de Saint-Simon dont il pille et défigure en même temps les anecdotes. Déjà la véracité de ces Mémoires était suspect à ses contemporains. « L’auteur aimoit trop les anecdotes, dit l’abbé de Vauxelles, pour n’en être pas la dupe ; il étoit plein tout à la fois de probité et de malice ; il étoit porté à croire qu’un récit malin étoit vrai et qu’un récit vrai devoit être malin[1]. »

A quel récit malin Duclos a-t-il emprunté cette accusation ? Il a négligé de le dire, et c’est, suivant toute probabilité, à lui-même. A propos des accusations dont la Duchesse de Bourgogne fut l’objet lors du siège de Turin, nous avons déjà parlé des relations qu’elle avait, par lettres, conservées avec Victor-Amédée et établi leur parfaite innocence. Sans doute elle était demeurée tendrement attachée à un père qui ne méritait point une aussi vive tendresse ; les destinées de sa patrie d’origine ne lui étaient point devenues indifférentes, et surtout elle désirait ardemment la paix, comme en font foi sa correspondance avec sa grand’mère Madame Royale et la longue lettre adressée par elle à Victor-Amédée que nous avons publiée[2]. Non seulement elle la désirait, mais elle se proposait d’y travailler directement dans les derniers temps de sa vie. Cela résulte d’un mémoire secret, très curieux, que le comte de Rambuteau a eu raison de comprendre dans son intéressante publication des Lettres de Tessé. Dans ce mémoire, rédigé probablement à la demande de la Princesse, et sur laquelle il lui demande le plus profond secret, Tessé lui suggère le moyen d’obtenir de Louis XIV la permission d’intervenir en vue de la paix : « Chercher, lui dit cet habile négociateur, et trouver l’occasion d’entretenir le Roi en particulier ; prévenir même Mme de Maintenon du dessein qu’elle a ; le supplier de lui permettre, une fois en sa vie, de lui ouvrir son cœur, et lui demander, sur ce qu’elle a dessein de lui dire, un secret impénétrable, qu’elle croit même devoir lui demander pour ses ministres ; lui conter succinctement qu’elle ne peut vivre heureuse ni tranquille, comblée de ses grâces, tandis que son père aura le malheur d’être son ennemi ; que, n’étant plus enfant, elle lui demande la permission de travailler à une réconciliation qui

  1. Notice sur Duclos en tête de ses Mémoires, p. 37.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er juillet 1901, notre article sur le Duc de Bourgogne à l’armée, — le Siège de Turin.