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duc de Bretagne ne fut pas oubliée ; elle reçut six mille livres, et les autres femmes qui étaient auprès de lui passèrent au service du duc d’Anjou, devenu Dauphin, qui eut ainsi trente-deux femmes pour prendre soin de lui. Le total des pensions ainsi réparties s’élevait à 100 000 livres.

Le Duc de Bourgogne, qui s’était défait peu à peu de tout ce qu’il possédait en faveur des pauvres et qui distribuait en aumônes la presque totalité de sa pension mensuelle, ne laissait rien, et la Duchesse de Bourgogne laissait des dettes. Il n’y avait donc point lieu de s’occuper de leurs successions, comme il avait été fait pour Monseigneur. Mais l’un et l’autre laissaient des papiers. Seul le Roi avait qualité pour les dépouiller et il n’avait garde de confier ce soin à un autre. Dès les derniers jours de février, il s’en occupa. La perspective de ce dépouillement causait un vif émoi à Saint-Simon. Il savait que la cassette du Duc de Bourgogne était bourrée de mémoires dont il était l’auteur, mémoires qui portaient sur les sujets les plus divers, où les critiques n’étaient point ménagées et dont le principal, fort long et écrit tout entier de sa propre main, aurait suffi, dit-il, pour le perdre sans retour. Que ce mémoire tombât sous les yeux du Roi, et il se voyait déjà perdu et chassé pour toute la durée du règne. « Quel contraste, s’écrie-t-il, des cieux ouverts que je voyois sans chimères, et de ces abîmes qui, tout à coup, s’ouvroient sous mes pas ! Et voilà la Cour et le monde ! » Aussi éprouva-t-il alors « le néant des plus désirables fortunes par un sentiment intime qui, toutefois, marque combien on y tient, » et ne voulut-il longtemps « que s’enfuir et ne revoir jamais la figure trompeuse de ce monde. » Il fallut, pour le détourner de prendre un parti aussi extrême, toute l’influence de Mme de Saint-Simon qui était « non moins sensible, non moins touchée, aussi peu capable de le dissimuler, mais plus sensée, plus forte, et toute à Dieu[1]. »

Saint-Simon n’était pas le seul qui eût juste raison d’éprouver quelque inquiétude à la pensée que tous les mémoires destinés au Duc de Bourgogne allaient passer sous les yeux du Roi. Il y avait quelqu’un qui, voyant les choses de plus haut, à un point de vue moins personnel que Saint-Simon, ne s’était point lassé de faire parvenir des avis au Duc de Bourgogne. C’était

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 132.