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ainsi « le maître de tout ce qui se trouverait entre lui et l’autorité suprême. » A ces trois mémoires, en était joint un quatrième qui porte un titre inachevé : Recherches de… Dans ce mémoire, Fénelon recherche en effet ce qu’il peut y avoir de fondé dans les accusations dont le duc d’Orléans a été l’objet. Il ne les adopte ni ne les repousse, mais voudrait qu’on les examinât en grand secret. Il n’est point partisan d’une procédure publique, mais il voudrait « qu’on fît une recherche très secrète pour assurer la vie du Roi et du jeune prince. » Il voudrait également qu’on examinât en grand secret « le chimiste de ce prince et le détail des drogues qu’il a composées. » Il donne même ce singulier conseil « d’en prendre et d’en faire des expériences sur des criminels condamnés à mort[1]. »

Suivant toute probabilité, Chevreuse ne fît aucun usage de ces mémoires qui lui furent envoyés. Il est probable également que ces soupçons, conçus dans un premier moment d’horreur, s’évanouirent dans l’esprit de Fénelon. Sans quoi il serait assez difficile de comprendre qu’il eût, dès l’année suivante, engagé, avec un prince « accusé de la plus noire scélératesse, » une correspondance philosophique où il s’efforçait de lui démontrer les vérités de la religion. C’est en effet au duc d’Orléans que sont adressées au moins trois des lettres cataloguées dans les diverses éditions des Œuvres de Fénelon sous la rubrique : Lettres sur divers sujets de morale et de religion. Comment s’engagea cette correspondance ? A quels mobiles obéit Fénelon ? Nous l’ignorons. Saint-Simon, qui se vante d’avoir négocié un rapprochement entre l’archevêque de Cambrai et le duc d’Orléans, y avait peut-être réussi. Peut-être, tout détaché qu’il fût de toute ambition personnelle, Fénelon crut-il que l’intérêt public lui commandait de s’assurer à l’avance quelque influence sur un prince auquel son rang et son mérite ne pouvaient manquer d’assigner un rôle considérable. Saint-Simon n’hésite pas à dire que le duc d’Orléans, devenu régent, n’eût pas manqué d’appeler Fénelon aux affaires. On en peut douter, comme on peut se demander si Fénelon eût accepté. Mais Fénelon ministre du Régent, au lieu de Dubois ! « Cela fait rêver, » comme disait Mme de Sévigne.

Il était dans la destinée de Fénelon de ne voir se réaliser

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 189-194.