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fussent moins mêlés d’un sentiment personnel, ou plutôt on lui sait gré de la sincérité avec laquelle, suivant son habitude, il en convient, car, c’est justice à lui rendre, il ne s’en fait pas accroire, et il ne cherche à dissimuler aucun des sentimens, souvent assez mesquins, dont il est animé. « Je n’étois Soutenu, dit-il, ni de la piété, supérieure à tout, du duc de Bauvilliers, ni d’une semblable à celle de Mme de Saint-Simon, qui, toutefois, n’en souffroit pas moins. La vérité est que j’étois au désespoir. A qui saura où j’en étois arrivé, cet état paroîtra moins étrange que d’avoir pu supporter un malheur si complet. Je l’essuyois au même âge où étoit mon père quand il perdit Louis XIII. Au moins en avoit-il grandement joui, et moi : Gustavi paululum mellis et ecce morior[1]. »

Il ne faut point s’attendre à trouver l’expression aussi franche d’un sentiment aussi personnel dans les lettres de quelqu’un que la mort du Duc de Bourgogne atteignait dans sa sensibilité, et aussi dans sa légitime ambition plus rudement encore que Saint-Simon. On ne peut lire sans émotion la suite des lettres que Fénelon adressait au duc de Chevreuse durant ces jours tragiques. Les nouvelles circulaient alors lentement. Le Duc de Bourgogne se débattait déjà contre la mort, que Fénelon en était encore à s’inquiéter du contre-coup que la perte de la Duchesse de Bourgogne exercerait, non seulement sur la santé, mais aussi sur le caractère de celui qu’il continuait d’appeler le P. P., c’est-à-dire le petit prince. « Je suis fort alarmé pour sa santé, écrivait-il au duc de Chevreuse le 18 février ; elle est foible et délicate. Rien n’est plus précieux pour l’Église, pour l’Etat, pour tous les gens de bien… Vous connoissez son tempérament. Il est très vif et un peu mélancolique. Je crains qu’il ne soit saisi d’une douleur profonde et d’une tristesse qui tourne sa piété en dégoût, en noirceur et en scrupule. Il faut profiter de ce qui est arrivé de triste pour le tourner vers une piété simple, courageuse et d’usage pour sa place. Dieu a ses desseins ; il faut les suivre. Il faut soutenir, soulager, consoler, encourager P. P. désolé, » et il ajoutait à cette lettre une sorte de long post-scriptum : Pour le Dauphin, où il lui applique les passages des Confessions où saint Augustin décrit sa douleur et son accablement après la mort d’un ami, passages

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 131.