Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/649

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disait en parlant à Mareschal, qui non seulement avait pris de nouveau la défense du duc d’Orléans, mais avait même fait son éloge : « Savez-vous ce qu’est mon neveu ? Il est tout ce que vous venez de dire. C’est un fanfaron de crimes[1]. » Il n’aurait point porté sur ce neveu un jugement aussi juste s’il l’avait seulement soupçonné d’aussi épouvantables forfaits. Mais, avec son bon sens naturel et sa connaissance de ce monde spécial de la Cour, il savait que, dans un procès criminel où l’opinion publique avait pris parti à l’avance, rien n’ébranlerait une conviction déjà arrêtée dans l’esprit de chacun, et que même un arrêt solennel proclamant l’innocence des accusés, que ce fût le duc d’Orléans. Homberg ou tout autre, ne serait point accepté par ceux qui auraient déjà proclamé tout haut la culpabilité des accusés. D’ailleurs, il entrait tout à la fois dans ses habitudes et dans ses principes que les événemens les plus graves troublassent le moins possible la majestueuse régularité de la vie, telle qu’elle était organisée à la Cour. On trouve une curieuse appréciation de cette altitude dans les dépêches de l’ambassadeur vénitien, Guglielmo Emo, qui écrivait au doge : « Il (le Roi) a ressenti le coup autant qu’on peut le croire, et malgré cela, sachant combien il importait de relever les âmes tombées universellement dans une très grande confusion (cadute universalmente in grandissima confusione), bien qu’il eût, en outre, souffert de quelque incommodité dans sa santé les jours précédens, il s’imposa de se montrer et de manger en public selon son habitude[2]. »

C’eût été un singulier moyen de relever les âmes et de mettre un terme à la confusion universelle, que de consentir à l’ouverture d’une information criminelle aussi retentissante que celle sollicitée par le duc d’Orléans, et cette considération dut assurément peser sur Louis XIV. Il semble même, par la façon dont il traita publiquement son neveu, avoir voulu détourner de lui les soupçons. L’ambassadeur vénitien l’indique discrètement dans une dépêche postérieure de quelques jours : « C’est ainsi, écrivait-il le 29 février, qu’en n’apportant, dans les choses qui regardent l’Etat, aucun changement dans ses habitudes, il s’est conduit dans cette succession de coups avec une vraiment admirable fermeté d’âme à laquelle n’a pas donné un médiocre assaut un bruit qui s’est généralement répandu à la défaveur du

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de. 1857, t. XI, p. 346.
  2. Bibliothèque nationale. Fonds italien 1932. Dépêches du 22 février,