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« L’ouverture du corps épouvanta, dit de son côté Saint-Simon. Ses parties nobles se trouvèrent en bouillie ; son cœur, présenté au duc d’Aumont pour le tenir et le mettre dans le vase, n’avait plus de consistance ; sa substance coula jusqu’à terre entre leurs mains ; le sang dissous, l’odeur intolérable dans ce vaste appartement[1]. » L’autopsie avait eu lieu dans l’appartement du Dauphin. Le soir même, dans celui de Mme de Maintenon, les médecins firent leur rapport, et le même débat s’éleva entre eux. Fagon et Boudin déclarèrent que ce qu’ils avaient constaté était « le plus violent effet d’un poison très subtil et très violent qui, comme un feu très ardent, avoit consumé tout l’intérieur du corps, à la différence de la tête qui n’avoit pas été précisément attaquée, et qui seule l’avoit été d’une manière très sensible en la Dauphine. » Mareschal soutint au contraire que la mort était naturelle ; qu’il n’y avait point de marques précises de poison ; qu’il avait relevé les mêmes marques dans d’autres corps et qu’il fallait attribuer la mort du Dauphin « à un venin naturel de la corruption de la masse du sang enflammé par une fièvre ardente qui paroissoit d’autant moins qu’elle étoit plus interne ; que de là étoit venue la corruption qui avoit gâté toutes les parties et qu’il ne falloit point chercher d’autres causes que celle-là. » Fagon et Boudin répliquèrent. Mareschal répliqua à son tour avec beaucoup de chaleur, et, s’adressant au Roi en personne, « il se prit à l’exhorter, pour le repos et la prolongation de sa vie, à secouer des idées terribles en elles-mêmes, fausses suivant toute son expérience et ses connoissances, et qui n’enfanteroient que les soucis et les soupçons les plus vagues, les plus irrémédiables[2]. »

Cependant, comme il était inévitable, le bruit des contestations qui s’étaient élevées entre les médecins s’était répandu, et il n’en avait pas fallu davantage pour donner corps à la sourde rumeur qui courait. Tant à Versailles qu’à Paris, tant à la Cour que dans le populaire, l’opinion publique ne balança pas ; elle crut à l’empoisonnement et traduisit à haute voix ses soupçons.

Il y avait alors à Versailles un personnage très en vue, dont nous avons eu parfois l’occasion de prononcer le nom, car il s’est trouvé accidentellement mêlé à l’existence du Duc et de la

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1837, t. X, p. 139.
  2. Ibid., p. 140.