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appétit, Mgr l’intendant, M. le gouverneur, M. le lieutenant de Roi, ces dames et leurs cavaliers, dans le grand réfectoire aux murailles blanches des Capucins, Mandrin et ses hommes dans les cabarets du faubourg des Halles. Mandrin avait particulièrement séduit M. de Chossat, capitaine au régiment de Nice-infanterie, beau-frère du subdélégué à Bourg, et M. de Saint-André, ingénieur des ponts et chaussées. Ils s’attachèrent à lui et ne le quittèrent d’une partie de la journée. Seule Mme de la Roche se remettait difficilement de son émotion. Dans la chambre du gouvernement préparée en hâte, elle retira son pet-en-l’air, ses petites mules et son jupon à fleurs, et se mit dans un grand lit à colonnes torses, où, entre les grands draps blancs, la peur la faisait encore frissonner.

Mandrin était attablé à l’auberge, quand un peintre de la ville vint solliciter, tandis que le jeune chef de contrebandiers serait à manger, de s’asseoir dans un coin de la salle, afin de « tirer de lui quelques croquis pour un portrait. » Après le repas, une heure se passa à vendre de la contrebande et à délivrer des prisonniers. A quatre heures, l’intendant et sa compagnie étaient encore à table chez les Capucins — après de si vives émotions, il était utile de se restaurer longuement, — quand une nouvelle députation vint gratter à la porte. Mandrin réclamait encore 3 000 lb. pour six balles de tabac qu’il avait fait porter chez l’entreposeur, M. François. « Il ne pouvait en conscience, disait-il, passer dans une ville telle que Bourg sans laisser du tabac à l’entreposeur. »

A vrai dire, les plénipotentiaires que Mandrin avait délégués cette fois étaient dépourvus de tenue et de correction diplomatiques. Ils s’étaient arrêtés plusieurs fois en chemin pour boire à la santé de Mgr l’intendant. Du moins eurent-ils le tact de ne pas pénétrer dans la salle où se trouvaient si élégante compagnie et de jolies dames : ils restèrent au seuil, la porte ouverte, en s’appuyant l’un contre l’autre pour tenir debout. Le chevalier de Chossat et l’ingénieur des ponts et chaussées, M. de Saint-André, reçurent encore la mission de suivre cette nouvelle négociation. Les deux délégués envoyés par Mandrin parlaient avec rondeur et tendresse ; mais ils embrouillaient tout. MM. de Saint-André et de Chossat prirent le parti de rentrer directement en rapport avec le chef même de la bande, et cette seconde affaire fut rapidement conclue, comme l’avait été la première,