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compliment, mais avec un tumulte, une presse et une confusion la plus indécente que l’on puisse voir. »

Le Roi n’entendait pas cependant se dérober complètement aux devoirs que l’étiquette lui imposait. Les jours qui suivirent, il reçut les complimens des ambassadeurs étrangers, et il entendit les harangues du Parlement, de la Cour des aides, du Prévôt des marchands, enfin de l’Université et de l’Académie française, entre lesquelles il y avait eu une dispute de préséance qui fut tranchée au profit de l’Université. « Toutes les harangues, dit Dangeau, étoient fort touchantes, mais celle du Prévôt des marchands fut la plus belle. » En effet, elle arracha des larmes aux assistans et au Roi lui-même. En plus de ces réceptions d’apparat, le Roi travaillait chaque jour avec un ministre ou tenait conseil. L’après-dînée, il allait se promener ou tirer. La vie reprenait peu à peu avec sa régularité majestueuse lorsqu’un nouveau drame vint raviver le deuil général et donner un aliment aux rumeurs qui circulaient depuis plusieurs jours.

L’héritier direct de la couronne se trouvait être alors un enfant de cinq ans, le second duc de Bretagne, celui qui avait porté le premier ce titre étant mort quelques années auparavant. À en croire ce que disait de lui dans ses lettres la Duchesse de Bourgogne elle-même, il était laid et elle le regrettait, car, écrivait-elle à sa grand’mère, « quoique cela ne fasse rien pour quand ils son grand, on aime toujours mieux avoir un joli enfant qu’un lait[1]. » Elle reconnaît au reste qu’il était « fort joli par les manières et par l’esprit. » Cet enfant, que sa mère voyait peu, était toujours confié à la duchesse de Ventadour, qui avait succédé à sa mère la maréchale de la Mothe-Houdancourt dans les importantes fonctions de gouvernante des enfans de France, et que le petit prince appelait : maman. Aussi était-ce la duchesse de Ventadour qui avait été informée par l’intermédiaire de Pontchartrain « que Sa Majesté vouloit que, présentement, on appelât M. le duc de Bretagne Dauphin[2]. » Quand elle l’appela pour la première fois ainsi, l’enfant, à qui il avait fallu apprendre la mort de son père et de sa mère, répondit : « Maman, ne me donnez pas ce nom ; il est trop triste. »

Le 27 février, on sut que le nouveau Dauphin donnait

  1. Archives de Turin. Lettere de la Duchessa di Borgogne scritte à la duchessa Giovanna Battesta, sua avola.
  2. Dangeau, t. XIV, p. 101.