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son esprit. Les membres de cette commission, se divisant la tâche, et s’attribuant chacun tel ou tel des anciens poèmes épiques, eurent à réunir ces exemplaires partiels et divergens, à les comparer, à les compléter les uns par les autres, à retrouver et à dégager la continuité du développement, parfois peut-être à raccorder certaines parties mal cohérentes et, au besoin, à éliminer les contradictions les plus visibles. Ainsi se montrèrent à tous les yeux ces vastes ensembles, qui jamais encore n’étaient apparus avec cette netteté de lignes et cette précision de contours. Cette œuvre, vraiment grande, ceux qui en étaient chargés ne l’accomplirent pas sans se tromper. Cela était impossible. Mais ils l’accomplirent de telle manière qu’ils l’imposèrent immédiatement et pour toujours à l’opinion publique. Ce fut un enchantement pour tous les Grecs que de pouvoir lire désormais ces vieux récits, pleins de leur histoire légendaire, dans cette forme limpide, claire, ordonnée ; un enchantement si puissant qu’il se propagea d’une extrémité à l’autre du monde hellénique, et que cette édition athénienne fut accueillie comme si elle avait été dictée par Homère lui-même. Le savant Aristarque a traduit involontairement cette impression, cinq cents ans plus tard, en se persuadant et en affirmant qu’Homère avait dû être un Athénien. Ne méconnaissons pas ce qu’il y avait de vérité dans cette erreur.

Les admirateurs de la beauté antique doivent être reconnaissans envers les hommes qui accomplirent ce travail, et surtout envers l’Athénien Onomacrite, qui paraît s’être occupé spécialement de l’Iliade et de l’Odyssée. Hérodote, il est vrai, nous donne à penser qu’il était dénué de scrupules. Mais, s’il en avait eu, il ne serait jamais venu à bout de son entreprise. C’était en son genre un homme d’action, qui avait l’audace et le tour de main nécessaires. Notre critique, inquiète et méticuleuse, ne peut lui reprocher qu’une chose, qui est d’avoir trop bien réussi. Si nous possédions quelques-uns de ces vieux exemplaires de rhapsodes, qu’il eut certainement entre les mains, et que son édition condamna à disparaître, la question homérique serait beaucoup plus près d’être résolue.


MAURICE CROISET.