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du poème, la Visite au pays des morts, est manifestement un assemblage de morceaux disparates, qui ne peuvent être ni du même auteur, ni du même temps. Cet épisode a lui-même pour centre et pour raison d’être la consultation du devin Tirésias. Or, cette consultation, comme Kirchhoff l’a fait voir depuis longtemps, est réellement sans objet dans le poème tel que nous le lisons. Car Tirésias n’apprend rien à Ulysse sur ce que le héros est venu lui demander, c’est-à-dire sur les moyens de rentrer enfin dans sa patrie. C’est la déesse Circé qui lui décrit la route à suivre. Il y a incompatibilité entre ces deux personnages, étant donné le rôle de prophète qui leur est attribué à tous deux. Leur rapprochement ne s’explique bien que par la fusion de deux récits distincts, répondant à deux conceptions différentes de l’ensemble.


V

Les voyages d’Ulysse ne sont qu’une partie de sa légende. Celle-ci se prolonge et se complète dans l’Odyssée par le récit de sa lutte contre les prétendans de Pénélope et de la vengeance qui en est le dénouement. La question de l’unité de formation du poème est liée à celle de l’unité de cette légende, bien que la solution de lune ne soit pas nécessairement valable pour l’autre.

Un certain nombre de savans, parmi lesquels il faut nommer M. de Wilamowitz-Moellendorff et M. Otto Seek, inclinent à considérer la légende d’Ulysse comme le développement d’un mythe solaire. Pour justifier cette façon de voir, ils font ressortir certains traits, qui leur paraissent caractéristiques, et qu’ils empruntent à toutes les parties de cette légende, aussi bien aux voyages qu’à la vengeance. C’est admettre implicitement que tous les traits ainsi notés étaient primitivement réunis et qu’ils font essentiellement partie d’un même tout. Or, rien ne prouve qu’il en ait été ainsi. On prend pour base de démonstration un fait qui est lui-même à démontrer. Véritable faute de méthode, qui doit rendre plus suspecte encore une théorie singulièrement hasardeuse par elle-même.

En fait, il n’y a aucune raison de croire qu’Ulysse ait été dès l’origine un voyageur. Rien dans l’Iliade ne le désigne comme tel. Ses pérégrinations, comme celles de Ménélas, ne