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plus ou moins librement, car M. Bérard semble hésiter sur ce point. Et, d’après lui, le poète a suivi ce périple assez exactement pour qu’on puisse vérifier sur les lieux toutes ses descriptions, bien qu’il ait d’ailleurs traduit tout cela en un langage poétique ou mythologique, qui exige quelquefois, pour être bien compris, toute la sagacité de son interprète.

Le défaut de cette hypothèse, si intéressante en elle-même et si brillamment présentée par son auteur, c’est qu’elle a contre elle, non seulement les objections qu’elle soulève, mais, s’il faut parler franchement, les argumens mêmes dont elle s’autorise. Ceux-ci se ramènent essentiellement à deux : l’un tiré des descriptions, l’autre des noms de lieux. Le premier se fonde sur la ressemblance qu’on est invité à constater entre les descriptions odysséennes et les photographies commentées qui illustrent ces deux beaux volumes. Par malheur, il en est des ressemblances topographiques comme des ressemblances personnelles. A moins d’être évidentes, elles dépendent des impressions du moment, de la façon de regarder, des idées qu’on apporte avec soi. Quiconque a tant soit peu voyagé sait par expérience combien de promontoires, méditerranéens ou non, présentent de profils analogues, combien d’estuaires ont même aspect, combien de ports naturels s’ouvrent entre deux saillies de rivage qui les protègent, combien de grottes ont été creusées par la nature dans le rocher et tapissées par elle de verdure. Les descriptions de l’Odyssée sont faites avec des traits empruntés à la nature méditerranéenne. Il n’est pas surprenant qu’on puisse retrouver, dans la même aire géographique, beaucoup de sites qui s’en rapprochent. Ce qu’il faudrait démontrer, ce serait donc non seulement que telle description odysséenne ressemble à tel site déterminé, mais encore qu’elle ne ressemble à aucun autre. Démonstration impossible, et dont l’impossibilité même met en lumière le défaut de l’argument.

Celui qui est tiré des noms de lieux est-il plus satisfaisant ? M. Bérard veut expliquer tous les noms odysséens par des noms phéniciens, dont il ne peut même pas, le plus souvent, attester l’existence, mais qu’il reconstitue, pour les besoins de sa cause, avec des racines empruntées à diverses langues sémitiques. Combien cette façon de procéder est critiquable en elle-même, c’est ce qui apparaît dès qu’on y réfléchit, sans qu’il soit besoin pour cela d’aucune compétence spéciale. Elle l’est d’autant plus que