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issue du pays où la navigation grecque a pris son premier essor, et où les légendes de la mer ont dû particulièrement trouver faveur. En outre, elle se rattache à l’Iliade par des liens si intimes, elle procède d’elle si directement par ses légendes, par ses nombreux emprunts, par ses allusions répétées, par les traditions d’art dont elle s’inspire, qu’il faudrait, pour l’en séparer, des raisons décisives. Ces raisons font absolument défaut jusqu’à présent. En ce qui lui est propre, elle ne nous offre, pas plus que l’Iliade, le premier état de la matière poétique qu’elle a illustrée. Elle repose sur un fond d’inventions, qui, certainement, avaient été déjà mises en œuvre. La plupart des personnages ou des êtres fabuleux qu’elle met en scène sont présentés au public comme d’anciennes connaissances.

Les voyages d’Ulysse sont le plus ancien récit de navigation méditerranéenne que les Grecs nous aient légué. Il est naturel que ce récit ait de tout temps excité l’intérêt très vif des géographes et qu’ils aient eu en général une tendance à le considérer comme un document de grande valeur. C’est ce que faisait déjà, vers l’an 700 avant notre ère, l’auteur du Catalogue hésiodique ; et c’est ce que vient de faire encore, après une longue série de géographes et de savans, M. Victor Bérard, dans l’ouvrage mentionné plus haut. Il s’est persuadé que les pays visités par le héros de l’Odyssée étaient des pays réels, que la route suivie par lui pouvait être tracée sur nos cartes, que les lieux dont il parle étaient encore parfaitement reconnaissables ; et, désireux d’en fournir la preuve, il les a visités à cette intention, il en a étudié les noms et l’aspect, enfin, pour parler aux yeux autant qu’à l’esprit, il les a photographiés et en a présenté l’image à ses lecteurs. Ce voyage, il ne croit pas d’ailleurs que le poète odysséen l’ait fait avant lui. Il n’avait pas besoin de le faire. Les marins phéniciens avaient pris cette peine depuis longtemps. Et non seulement ils avaient parcouru ces routes, mais ils les avaient décrites, ils avaient nommé chacun de ces lieux, ils avaient mesuré les distances, établi les orientations, noté le régime des vents et celui des courans, enregistré toutes les observations essentielles sur les terres, les montagnes, les ports et les mouillages, les grottes et les fleuves, sans oublier, bien entendu, les habitans. C’est un périple rédigé par eux que le poète odysséen a traduit pour en faire le support de ses récits, à moins qu’on ne l’eût traduit avant lui, ou même arrangé déjà