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auxquelles on distinguera de mieux en mieux, dans les substructions de la poésie homérique, la superposition et l’ordre des différentes assises.

Le principe fondamental dont elles s’autorisent, c’est que les poètes ioniens, tout en racontant des histoires d’un âge antérieur, n’ont pu s’empêcher d’y insérer bien des traits de leur propre temps. Ce principe a en lui-même une sorte d’évidence. Dépeindre un passé très lointain, sans y rien mêler de ce qu’on a l’habitude de voir et d’entendre, suppose un effort réfléchi et constant qu’un érudit même aurait grand’peine à soutenir et qu’aucun artiste ni poète n’a jamais réalisé en aucun temps. Il est tout à fait impossible de l’attribuer à des hommes pour qui l’histoire n’existait pas, ni, à plus forte raison, le sens historique, qui en est le fruit tardif. D’ailleurs, les résultats ici ont justifié la méthode et, du même coup, le principe sur lequel elle est fondée. Il n’y a vraiment pas lieu d’insister sur ce point.


IV

D’après ce qui précède, la tradition qui attribuait l’Odyssée au même poète que l’Iliade peut désormais être considérée comme sans valeur. En fait, elle ne compte plus guère de défenseurs aujourd’hui. Les ressemblances entre les deux poèmes se réduisent à la parenté des sujets et à la pratique d’un même art de composition et de style, qui appartenait alors, non à un certain poète, mais à une classe d’hommes de même profession. Au contraire, les différences sont nombreuses et frappantes. Elles se manifestent, sous l’uniformité traditionnelle, dans l’esprit même des deux œuvres, dans les croyances, dans l’évolution des légendes, dans les points de vue moraux, dans le degré de culture, dans la langue enfin et jusque dans la versification. Tous ces faits ont été étudiés en détail et sont connus. Ils paraissent démontrer que, d’une manière générale, l’Odyssée est postérieure à l’Iliade. Toutefois, rien n’autorise à penser qu’elle ne soit pas née, elle aussi, en Ionie. Les conjectures qu’on a pu faire à cet égard manquent de fondement solide. C’est dans la Grèce d’Asie que l’épopée a trouvé le terrain le plus favorable à sa croissance ; c’est là qu’elle a pris son développement ; et l’Odyssée en marque une des phases naturelles. Par beaucoup des élémens qu’elle contient, elle semble d’ailleurs indiquer elle-même qu’elle est