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fréquemment devant un auditoire qui ne changeait guère et qui, ainsi, pouvait mettre chaque scène nouvelle à sa place parmi d’autres scènes déjà connues. D’autres vinrent après lui qui firent de même, en ajoutant de nouveaux matériaux à la construction sans cesse agrandie ; et ils le firent en poètes qu’ils étaient, c’est-à-dire en prenant soin de varier leurs inventions et de les encadrer entre celles des inventions antérieures qui leur semblaient le plus propres à les faire valoir. Le dernier travail seul, dont nous parlerons un peu plus loin, eut pour objet de constituer un texte approprié à de grandes récitations publiques. Mais, à ce moment, les poèmes existaient dans leur entier, bien que sous une forme un peu flottante encore.

La grande tâche de la critique est de discerner ces apports successifs, pour essayer de les assigner à des temps et à des lieux déterminés. On en conçoit la difficulté. Elle est si grande qu’on ne peut guère espérer la voir jamais surmontée définitivement. Les indices qu’il s’agit de recueillir sont en effet de telle nature qu’ils ne comportent qu’un degré plus ou moins élevé de probabilité. On les trouve dans l’étude de la langue, dans celle des détails descriptifs, des armes et de la manière de combattre, des mœurs, des usages sociaux, des institutions, des croyances religieuses. Toutes ces choses, lorsqu’on les examine de très près, laissent apercevoir des différences curieuses entre les diverses parties des poèmes soumis à l’observation. De très savantes recherches ont été conduites dans cet esprit depuis quelques années, et elles ont mis en lumière quantité de faits intéressans[1]. Ces recherches se font à elles-mêmes peu à peu leurs règles spéciales. On sent de plus en plus qu’elles ne doivent pas obéir à des vues trop systématiques, qu’il faut y tenir grand compte de la survivance des vieux usages et des vieilles manières de parler, et qu’elles ne doivent pas viser par suite à un classement trop rigoureux. Une fois ceci bien compris, et à la condition de s’abstenir des affirmations trop absolues qui compromettent des méthodes d’ailleurs excellentes, il y a lieu d’attendre beaucoup de ces patientes explorations, véritables fouilles grâce

  1. Il faut mentionner particulièrement : Helbig, Das homerische Epos, 1884 ; Reichel, Ueber homerische Waffen (Abhandl. D. archæologisch. Seminars d. Univers. Wien, 1894) ; réédité en 1901 ; P. Cauer, Grundfragen der Homerkritik, Leipzig, 1895 ; Carl Robert, Studien zur Ilias, Berlin, 1901, contenant une étude de F. Bechtel, intitulée Die Sprachform der Urilias ; et, tout récemment, les Homerica de J. Van Leeuwen, Mnemosyne, 1907.