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ait existé avant les parties les plus anciennes du poème, à la fois parce qu’il était conforme à la nature des choses et parce qu’on a peine à comprendre comment ces parties se seraient édifiées sans ce support indispensable.

Mais si l’on en reconnaît la nécessité, on se trouve par là même en possession d’un fait initial, qui explique, sinon l’unité actuelle de l’Iliade, du moins son unité originelle. La querelle d’Agamemnon et d’Achille, une fois connue dans son ensemble, pouvait à son tour se diviser en épisodes, et ces épisodes pouvaient donner naissance à autant de chants, qui, sans être continus, formaient groupe néanmoins. De tels chants étaient propres à constituer le fond premier d’un poème futur. Il y avait en eux une tendance naturelle à se rapprocher, qui résultait de leur origine commune et de la liaison des événemens. Et comme, d’ailleurs, dans la composition actuelle, les parties qui se rapportent aux faits les plus importans, telles que la Querelle, l’Ambassade, la Défaite d’Agamemnon, la Mort d’Hector, se font remarquer entre toutes par certains caractères communs, force d’invention, pathétique, grandeur simple, puissance descriptive, il est naturel d’admettre tout d’abord que celles-là au moins sont l’œuvre d’un même poète. Mais il n’est pas nécessaire de supposer pour cela qu’elles aient constitué dès l’origine un poème à proprement parler ; car il existe, même entre celles-là, des divergences qui se concilieraient mal avec l’hypothèse d’un plan fermement arrêté.

Seulement, cette première unité, de quelque façon qu’on veuille la concevoir, n’est qu’un élément de l’unité du poème actuel. Celle-ci se manifeste par la continuité d’un long récit, qui, à travers des détours et des longueurs, s’achemine assez sûrement vers sa fin. Et, sous cette continuité, se révèle même un arrangement savant, grâce auquel des scènes de nature diverse sont heureusement entremêlées, de manière à varier les émotions et à soutenir l’intérêt. Il faut y reconnaître, en définitive, l’intervention d’un art réfléchi. Véritable création poétique, qui, toutefois, ne semble pas procéder d’un seul et même effort intellectuel. Car, malgré sa beauté, cet ensemble ne répond pas à l’idée d’un développement librement conduit par un puissant esprit, qui eût été tout à fait maître de sa pensée ; et il faut se souvenir qu’il contient des parties qui ne peuvent pas avoir même origine. Ainsi, ce n’est pas la méconnaissance de l’unité