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autour d’Agamemnon, puis transportée dans l’Asie grecque, et commémorant peut-être un fait historique, dont nous ne pouvons plus ni contrôler l’authenticité ni évaluer l’importance ; l’autre, thessalienne, qui avait pour héros Achille, et qui se rattachait probablement à un culte de la région du Sperchios, transporté par l’émigration dans le pays qui devint l’Eolide. Agamemnon et Achille : rivaux prédestinés, entre qui la discorde était en quelque sorte inévitable, puisqu’ils représentaient deux groupes distincts, et qu’ils avaient chacun même popularité, mêmes droits à une primauté traditionnelle. Si une querelle entre deux héros était en soi, comme l’a montré récemment un de nos meilleurs hellénistes, M. Paul Girard, un des sujets les plus goûtés des hommes de ce temps, aucune querelle ne pouvait être plus intéressante pour eux que celle du roi de Mycènes et du fils de Thétis[1]. On ne peut s’étonner qu’elle ait pris place par le fait d’un conteur quelconque, parmi les récits qui grossissaient autour d’Ilios. Le premier qui en parla put la mentionner sans s’y étendre longuement : car elle n’était qu’un incident, dans l’ensemble d’une légende bien plus compréhensive. Toutefois, cet incident, si brièvement qu’on le suppose raconté d’abord, ne pouvait guère se réduire à la querelle elle-même. Il n’avait réellement toute sa valeur qu’à la condition qu’on adjoignît à cette querelle quelques-unes au moins de ses conséquences naturelles. Il fallait bien dire qu’Achille, offensé, avait refusé de combattre et que les Grecs, en son absence, avaient subi de cruelles défaites. La querelle, sans cela, n’eût été qu’un fait divers, insignifiant. Il fallait dire aussi comment cette retraite d’Achille avait pris fin. Ce dénouement comportait, il est vrai, plusieurs formes. Achille pouvait accepter d’Agamemnon une satisfaction suffisante. Il pouvait aussi être ramené au combat par une impulsion de sa nature ardente, telle que le désir de venger un ami, tué en son absence. Rien ne prouve que ces diverses inventions, ou d’autres encore, ne se soient pas produites tour à tour, sinon simultanément. La forme du récit que nous lisons dans l’Iliade n’a rien en soi de nécessaire. Elle a pu varier avant d’être ainsi fixée. Ce qui ne peut guère être mis en doute, c’est qu’un récit d’ensemble, médiocrement développé,

  1. Paul Girard, Comment a dû se former l’IIiade, Revue des études grecques, juillet-octobre 1902. Je m’inspire ici librement des idées exprimées dans ce remarquable travail.