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primitif[1]. » Et précisant sa pensée sur ce point, il admet, à l’origine, « un chantre inspiré, un grand poète, dont on ne saurait se passer : et ensuite, ce qui n’est pas moins nécessaire, un groupe d’hommes, une corporation, ayant même esprit, mêmes traditions, et travaillant pour un même objet, toujours nouveau[2]. » Ce qu’il y a de personnel dans cette hypothèse, c’est l’affirmation nette d’une liaison nécessaire entre l’unité de notre Iliade et l’existence de certaines solennités périodiques, auxquelles une corporation d’aèdes solidement constituée prenait part régulièrement. Sur la formation même du poème, on ne voit pas bien en quoi la conception du « thème primitif, » dont il vient d’être question, diffère de celle d’une « Iliade primitive » (Ur-Ilias), que M. Bréal paraît tenir en défaveur[3]. Mais peu importe ce point de détail. En écartant à la fois deux conceptions extrêmes et opposées, celle d’une Iliade artificiellement constituée et celle d’une Iliade qui n’aurait jamais varié, il fait bien ressortir l’opinion moyenne qui, depuis assez longtemps déjà, tend à se dégager des discussions antérieures. Cette opinion admet l’existence d’un poème primitif, développé par une succession d’agrandissemens. La difficulté est de déterminer l’étendue du poème primitif, la raison et la nature des agrandissemens. Et, pour cela, il est indispensable de bien comprendre d’abord en quoi consiste au juste l’unité du poème actuel.

Le sujet qui lui est propre, c’est, comme on le sait, la colère d’Achille contre Agamemnon et ses conséquences. Si le nom d’Iliade a pu lui être donné, — nous ne savons trop en quel temps ni par suite de quelles circonstances, — c’est que, à propos de cette querelle, la destinée d’Ilios est en jeu ; et, par suite, on s’imagine aisément que toute la guerre de Troie y est contenue virtuellement. En réalité, ce qui nous est raconté n’est, comme l’a noté Aristote, qu’un simple épisode de cette guerre[4]. Il y a lieu de croire, naturellement, qu’on a dû se faire quelque idée d’ensemble de la guerre, avant de concevoir cet épisode. La légende de la guerre de Troie, enveloppée d’obscurité comme elle l’est, pourrait bien être issue d’une fusion entre deux traditions principales : l’une, argienne et mycénienne d’origine, formée

  1. Pour mieux connaitre Homère, p. 46.
  2. Même passage, suite.
  3. Même ouvrage, p. 37.
  4. Aristote, Poétique, c. 23.