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d’Asie, comme ceux du Continent, vivaient alors dans une sorte d’état inorganique, où la véritable unité sociale était la cité. Plus tard, à partir du milieu du VIIIe siècle environ, aucune influence traditionnelle n’aurait pu empêcher des poètes, sujets aux influences de la mode et toujours prêts à rajeunir les vieilles choses, d’employer les noms qui étaient d’usage courant autour d’eux.

L’armée de Priam prêterait à des observations analogues. Nous ne les développerons pas ici. Bornons-nous à remarquer que les alliés de Troie sont de petits chefs, venus des environs immédiats, ou, tout au plus, des régions littorales de la mer Egée et du Pont. Nulle idée d’États puissans, s’étendant sur le plateau anatolien. Les Phrygiens de l’Iliade habitent près du lac Ascagne ; les Mysiens, au bord du lac Gygée et au pied du Tmolos. Mais il n’y a pas de grande monarchie phrygienne : nulle allusion aux Gordios ni aux Midas. Quant aux Lydiens, leur nom même est encore ignoré. Chose inconcevable, si la royauté guerrière de Gygès, terrible pour les villes grecques, eût été déjà constituée. La notion d’une grande puissance orientale n’est entrée dans l’épopée grecque qu’au temps de l’Éthiopide, lorsqu’un successeur d’Homère eut l’idée d’amener au secours de Priam son parent Memnon, fils de l’Aurore, avec son armée d’Ethiopiens.

N’insistons pas davantage sur ce point. La date reculée de l’Iliade et de l’Odyssée résulte d’un ensemble de faits positifs. Pour la modifier, il faudrait les faire disparaître. Quant aux témoignages de l’antiquité, si nous les avons écartés de parti pris, il faut bien rappeler cependant qu’ils s’accordent à représenter Homère comme très ancien ; et lorsque Hérodote le place au IXe siècle, il a la prétention de le rajeunir[1]. Cette date est pour lui la plus rapprochée qu’il puisse se permettre d’alléguer. Sans doute, son opinion, dont nous ignorons les raisons, n’a pas de valeur scientifique. Encore est-il qu’il possédait une connaissance étendue de toute une littérature disparue, et que, lisant les vieilles épopées, les œuvres des élégiaques et des lyriques, il ne pouvait pas ne pas tenir compte d’une foule de comparaisons et de rapports qui nous échappent aujourd’hui. Admettrons-nous aisément qu’il ait reporté de quatre siècles en arrière un

  1. Hérodote, II, 53.