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parler, mais qu’elle suppose une longue tradition de poésie antérieure. Il en donne des preuves excellentes, tirées des mœurs, de la langue, du style, du goût littéraire, de la façon dont elles sont présentées. Ces faits sont bien connus ; ces preuves peuvent être multipliées presque à l’infini. Seulement, quelle conclusion a-t-on le droit de tirer de là, sinon que la culture grecque est fort ancienne ? Ce qui n’est pas, à coup sûr, pour nous étonner, après les découvertes de ces dernières années. La conclusion de M. Bréal est tout autre, et elle dépasse singulièrement ses prémisses.

Au lieu de vieillir la culture grecque, il rajeunit l’l'. Dans un passage de son livre, il estime que « les derniers enrichissemens qu’elle a reçus » peuvent dater du commencement du VIe siècle. Et comme, d’autre part, il évalue à une durée de cent cinquante ans « le minimum de ce que comportent les vraisemblances pour la formation et le développement de ce poème, » on arrive ainsi, pour la période de début, aux premières années du VIIe siècle[1]. Cette hypothèse, déjà si hardie, n’est pas celle à laquelle il se tient. Un peu plus loin, précisant davantage sa pensée, il écrit : « C’est donc au temps des derniers rois de Lydie, au temps d’Alyatte ou de ce Crésus si occupé des choses grecques, que nous rapportons l’ensemble des œuvres placées sous le nom d’Homère[2]. » Le règne d’Alyatte, dont la chronologie n’est pas très sûre, paraît avoir duré environ de 604 à 555 avant notre ère ; celui de Crésus, de 555 à 540. Voilà donc Homère et son œuvre ramenés au temps de Thaïes et de Solon[3]. L’Iliade et l’Odyssée auraient été composées après les iambes d’Archiloque, après les nomes de Terpandre, après les élégies de Callinos et de Tyrtée, après les odes d’Alcée et de Sapho.

Une telle conception, qui détruirait la notion fondamentale de la succession des genres dans la littérature grecque, est bien faite pour étonner. Mais résulte-t-elle vraiment des faits allégués ? La méthode indiquée plus haut, qui rattache l’histoire de la poésie homérique à celle de la plus vieille poésie grecque et de la civilisation ionienne, est-elle appliquée ici ? Quelques faits suffiront à montrer ce qu’il faut en penser.

  1. Bréal, Pour mieux connaître Homère, p. 63. Cf. p. 37.
  2. Même ouvrage, p. 84.
  3. Même ouvrage, p. 35-36,