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l’enceinte, comme si l’on eût prévu l’attaque des Mandrins. Mais leur arrivée fut si brusque que le gouverneur n’eut pas le temps de donner l’éveil aux dragons casernes dans la place, ni de rassembler les milices bourgeoises. Celles-ci pouvaient mettre en ligne l’imposant effectif de sept cents hommes, divisés en six pennonages, les uns armés d’arquebuses à rouet et les autres de hallebardes, d’une forme aussi terrible que réjouissante, dont quelques spécimens sont encore conservés au musée de la ville.

Mandrin laissa une partie de ses troupes dans les faubourgs, et, par la rue principale, que traversait un ruisseau, le Cône, où l’on jetait les ordures ménagères, il se dirigea droit vers les Halles, où les principales rues aboutissaient et où la défense aurait pu s’organiser. Après y avoir laissé un fort planton de ses camarades, le contrebandier, suivi du gros de sa bande, se rendit à la maison du directeur des Fermes, M. Jean Hersmuller de la Roche, lequel, à la nouvelle de l’arrivée des compagnons, avait pris la fuite. Mandrin ne trouva au logis que Mme la directrice qui était jeune et très jolie.

La cour de l’hôtel fut envahie en un clin d’œil par les mulets chargés de tabac. Les contrebandiers rangèrent en gros tas quarante-quatre ballots couverts de serpillière. Il y en avait, disait leur chef, pour vingt mille livres, et il priait la dame de les lui compter.

Mandrin était de très bonne humeur. La jeune femme n’en fut pas moins terrifiée. Elle n’avait jamais vu un bandit de si près, et puis elle n’avait pas d’argent.

— Qu’à cela ne tienne, madame, on vous en fera trouver.

Par une heureuse rencontre, Jean-François Joly de Fleury, intendant de justice, police et finances dans les provinces de Bourgogne, Bresse et Bugey, était précisément à Bourg « suivant l’usage, pour le département des impositions. » Il logeait à l’hôtel de M. de Varennes, receveur des tailles, où il se trouvait dans le moment même, en compagnie du gouverneur de la ville et d’une société élégante, composée d’une trentaine de gentilshommes et de plusieurs dames de qualité.

Mandrin avait surpris Mme la directrice des Fermes à sa toilette. Il était nécessaire que, sur-le-champ, elle l’accompagnât chez l’Intendant.

— Mais, monsieur, je ne suis pas habillée !

Mme la Directrice n’en était pas moins charmante, et l’un des