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encore toutes deux au même poète. Nous voyons par là qu’en fait on ne savait rien de précis sur l’origine d’aucun de ces poèmes épiques. Nulle tradition positive n’avait conservé ni le nom de leurs auteurs, ni le souvenir exact du lieu et des circonstances où ils étaient nés, ni celui de leur développement intime et de leur propagation. Les critiques alexandrins les mieux informés, et parmi eux le savant et consciencieux Aristarque, en étaient réduits à demander aux textes eux-mêmes le secret de leur histoire. Et s’ils s’accordaient en général, malgré des dissidences isolées, à mettre l’Iliade et l’Odyssée hors de pair et à les grouper sous le nom d’Homère, ils n’avaient d’autre raison de le faire que la beauté supérieure qu’ils y trouvaient et le respect d’une longue habitude.

Ceci reconnu, la science moderne a compris qu’elle avait bien peu de compte à tenir des prétendues traditions. Elle a dû envisager le problème comme auraient pu le faire les savans alexandrins, s’ils avaient été libres de tout préjugé, avec moins de documens peut-être, mais avec un sens historique plus vif et plus large, et surtout avec des méthodes autrement sûres et pénétrantes. Elle a pris pour tâche d’analyser les élémens complexes de ces poèmes, d’en étudier minutieusement la langue, les croyances, les mœurs, de déterminer à quel temps et à quel milieu social ils se rapportent, en un mot de les passer, pour ainsi dire, au crible, de façon à ne rien laisser perdre des indices qu’ils peuvent contenir. Ainsi conçue, la question homérique se confond avec l’histoire même de l’épopée grecque primitive, qui, à son tour, se mêle intimement à celle de la Grèce d’Asie et des phases de sa plus ancienne culture.


II

Voyons d’abord ce que ces méthodes peuvent donner en ce qui concerne la chronologie. Personne n’ignore quelle est, à cet égard, l’insuffisance des témoignages et à quel point ils se contredisent. M. Bréal, reprenant à son compte une observation qu’Ottfried Müller faisait déjà vers 1839[1], remarque très justement que l’Iliade ne peut pas être un poème « primitif, » à proprement

  1. Histoire de la littérature grecque, traduction Hillebrand, in-12, t. I, p. 31.