Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/602

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je découvris bientôt qu’il était outré contre Charles X, qui n’avait pas répondu à sa lettre ; indigné contre les pairs, qui ne l’avaient pas choisi pour diriger la Chambre ; furieux contre le Lieutenant général, qui n’avait pas déposé entre ses mains le pouvoir auquel les événemens l’appelaient.

De plus, il était censé malade. C’est sa ressource ordinaire, lorsque son ambition reçoit un échec considérable ; et peut-être, au fond, l’impression est-elle assez violente pour que le physique s’en ressente.

Mme Récamier me pressa fort d’aller chez lui chercher à le calmer. Je consentis à l’y accompagner, et montant toutes deux dans la voiture qui m’avait amenée, nous arrivâmes à sa petite maison de la rue d’Enfer.

Mme Récamier y était connue. On nous laissa pénétrer, sans difficulté, jusqu’à son cabinet. Nous frappâmes à la porte, il nous dit d’entrer. Nous le trouvâmes, en robe de chambre et en pantoufles, un madras sur la tête, écrivant à l’angle d’une table.

Cette longue table, tout à fait disproportionnée à la pièce qui a forme de galerie, en tient la plus grande partie et lui donne l’air un peu cabaret. Elle était couverte de beaucoup de livres, de papiers, de quelques restes de mangeaille et de préparatifs de toilette peu élégante.

M. de Chateaubriand nous reçut très bien. Il était évident cependant que ce désordre et surtout ce madras le gênaient. C’était à bon droit, car ce mouchoir rouge et vert ne relevait pas sa physionomie assombrie.

Nous le trouvâmes dans une extrême âpreté. Mme Récamier l’amena à me lire le discours qu’il préparait pour la Chambre. Il était de la dernière violence. Je me rappelle, entre autres, un passage, inséré depuis dans une de ses brochures, où il représentait M. le duc d’Orléans s’avançant vers le trône deux têtes à la main ; tout le reste répondait à cette phrase.

Nous écoutâmes cette lecture dans le plus grand silence ; et quand il eut fini, je lui demandai si cette œuvre, dont je reconnaissais la supériorité littéraire, était, à son avis, celle d’un bon citoyen.

— Je n’ai pas la prétention d’être un bon citoyen.

— S’il croyait que ce fût le moyen de faire rentrer le Roi aux Tuileries ?

— Dieu nous en garde ! Je serais bien fâché de l’y revoir !