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pas même été capable de garnir les avenues de la province. Il ne faudrait cependant pas se montrer injuste à son égard. La résistance des gens du Roi était brisée par l’habile tactique et par l’étonnante agilité du contrebandier. Tantôt il répartissait ses hommes en petits détachemens, tantôt il les groupait rapidement en une cohorte nombreuse pour foncer à l’improviste sur les localités qu’il se proposait de mettre à contribution. On voyait les Mandrins partout à la fois, et l’on ne savait où les saisir. Les soldats, détachés à leur poursuite, disaient que c’étaient des diables, et les gendarmes arrivaient régulièrement trop tard ; régulièrement aussi les Mandrins apparaissaient au bon moment, là où on ne les attendait pas, pour mettre à mal, avec gaîté, mais sans pitié, les employés des fermiers généraux.


III

Vainement Louis XV fait-il demander aux autorités suisses d’empêcher que les Mandrins ne fassent de nouvelles incursions en France. Les contrebandiers constituaient pour l’industrie suisse — tabac, étoffes, articles de Genève — de très actifs agens d’exportation. On n’avait garde de s’en priver.

Franchissant le Rhône à Pont-de-Grezin, Mandrin rentre en France dans la nuit du 3 au 4 octobre 1754. C’est sa quatrième expédition. Il est à la tête de la troupe de margandiers la plus nombreuse que l’on ait encore vue : deux ou trois cents hommes, en comptant les valets qui conduisent un convoi de 98 chevaux chargés de tabac et d’étoffes. Les Mandrins s’intitulent « voyageurs et marchands contrebandiers. »

Le 5 octobre, à dix heures du matin, ils arrivent en vue de Bourg-en-Bresse. Le « capitaine » avait détaché une partie de ses troupes et n’avait pour le moment sous ses ordres immédiats que 152 hommes.

Bourg comptait six mille habitans[1]. Les clochetons de la vieille ville, aux maisons de bois peint, aux toitures pointues et vernissées, apparaissaient en un fouillis pittoresque au-dessus de l’antique « chemise » de briques, rempart bastionné sous Henri IL L’année d’avant avaient précisément été refaits les gonds et les serrures des lourdes portes pratiquées dans

  1. Sur le passage de Mandrin à Bourg, voir aussi Ch. Jarrin, la Province au XVIIIe siècle, Mandrin. Bourg, 1875, in-8 ; 2e édition, 1879.