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toujours des malheurs et des impressions de cette princesse que j’ai vu la Reine s’inquiéter et se désoler.

On me montra plus tard, dans cette matinée, une lettre interceptée de Mme la Dauphine écrite à son mari. J’ai conservé le souvenir d’une phrase qui me frappa extrêmement. Après avoir rendu compte en termes fort amers de la scène du théâtre de Dijon, dont elle sortait ; des cris insolens qu’on y avait poussés, elle ajoutait : « Ils avaient bonne envie de m’insulter personnellement ; mais je leur ai fait cet air qu’on me connaît, et ils n’ont osé. »

Ainsi cet air qu’on lui connaît, et que nous regardions comme une espèce de fatalité, elle le faisait. Certes, je ne rappelle pas ces paroles dans un sentiment hostile contre une princesse que je vénère, et dont les malheurs, selon l’expression de M. de Chateaubriand, sont une dignité, mais seulement comme une nouvelle preuve de l’ignorance où était la branche aînée du siècle et du pays.

Cet air, dont elle prétendait tirer du respect, ne produisait que de l’aigreur et du mécontentement. Dans cette lettre, il n’était pas question des ordonnances, il paraissait qu’elle en avait déjà parlé : « Je ne reviens pas sur ce que je vous ai dit hier. Ce qui est fait est fait, mais je ne respirerai que quand nous serons réunis. »

Je retourne au Palais-Royal. On était censé se tenir dans le salon dit des batailles, où une espèce de repas en ambigu[1]était en permanence. Mais, de fait, on était constamment dans la pièce qui servait de communication à tous les appartemens, et dont le grand balcon dorme sur la cour.

Chaque cri, chaque coup de tambour, chaque bruit, et ils étaient fréquens, y rappelait. Mme la duchesse d’Orléans cherchait évidemment à vaincre l’agitation de l’âme par celle du corps, elle ne tenait pas en place. Après l’avoir suivie pendant quelque temps j’y renonçai, excédée par la fatigue, et m’assis dans un coin, où Mme de Dolomieu, aussi lasse que moi, vint me rejoindre.

Nous y restâmes jusqu’au moment où les acclamations dans

  1. Repes qui n’est ni un déjeuner, ni un dîner, mais qui tient le milieu entre l’un et l’autre, par l’heure où il a lieu et par la nature des mets. Tous les services y sont confondus, et l’on sert à la fois tous les mets chauds ou froids, ainsi que le dessert.