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quatre avec M. Arago dans la voiture qui m’attendait. Je m’étais assuré la protection spéciale des princesses pour le duc de Raguse, dans le cas où il se trouverait en avoir besoin ; et Arago avait raconté sa visite à l’État-major dans tous ses détails à Mme de Montjoie, chez laquelle il était resté pendant mes visites aux deux belles-sœurs.

Arrivés à la barrière, je me séparai de mes compagnes et je me rendis directement chez Pozzo.

Il avait du monde dans son grand salon, je le fis demander. Il vint au-devant de moi dans la pièce qui précède. Je lui dis : « J’arrive de Neuilly, et je suis chargée de vous remercier de votre bon vouloir dont on est fort reconnaissant. »

Je trouvai un homme tout changé de la veille, empêtré, froid, guindé. Il me répondit : « Certainement ils ont bien raison, vous savez combien je leur suis attaché, mais la situation est bien délicate… le Roi est à Rambouillet… Il s’y établit… Mes collègues pensent convenable d’aller rejoindre le souverain auprès duquel nous sommes accrédités… Cela est au moins fort spécieux, nous n’avons pas été appelés… Cependant, je ne sais que faire… Je ne sais que leur conseiller. »

Je ne me laissai pas trop effaroucher par ce changement car je l’avais prévu ; mais je m’attendais, j’en conviens, à plus de façons dans le retour. Je répondis :

— Vous ferez, j’en suis bien sûre, ce qu’il y aura de plus utile. A propos, je voulais vous dire aussi que Sébastiani ne sera pas ministre. J’en ai la certitude.

Il me regarda un instant fixement : « A eux à la vie et à la mort ! » s’écria-t-il. Et, me prenant les deux mains, il m’entraîna dans le petit salon à gauche :

— Asseyons-nous. Ils veulent régner, n’est-ce pas ?

— Ils disent que non.

— Ils ont tort. Il n’y a que cela de raisonnable, il n’y a que cela de possible. Ils le veulent au fond, et, s’ils ne le veulent pas aujourd’hui, ils le voudront demain, parce que c’est une nécessité. Il nous faut donc agir dans ce sens.

J’avoue que, tout en m’attendant à un retour, cette prompte péripétie m’avait suffoquée. Aussi en ai-je été tellement frappée que je suis sûre de n’avoir ni ôté ni ajouté une syllabe à ces premières paroles.

Il entra ensuite dans quelques détails sur la manière dont il