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Elle me raconta comment, aussitôt que M. le duc d’Orléans avait su qu’on réclamait sa présence pour arrêter le désordre, il ne s’était pas permis d’hésiter. Il lui avait dit : « Amélie, tu sais si j’ai craint ce moment, je ne le prévoyais que trop ! Mais le voilà arrivé, la route du devoir est claire ; il faut la suivre et sauver le pays, car lui seul est dans le bon droit. »

Elle lui avait répondu : « Va, mon ami, je n’ai pas d’inquiétude, tu feras toujours ce qu’il y aura de mieux. »

Et puis la pauvre femme se remettait à pleurer de plus belle : « Ah ! ma chère amie, notre bonheur est fini ; j’ai été trop heureuse. »

Et joignant les mains : « Mon Dieu, j’espère n’en avoir pas été ingrate, j’en ai bien joui, mais je vous en ai bien remercié ! » Et puis encore et encore et toujours des larmes.

Je l’engageai à se laisser moins abattre. M. le duc d’Orléans, lui représentai-je, aurait besoin de toute sa fermeté ; rien ne serait plus propre à la lui faire perdre que ce désespoir de la personne qu’il chérissait le plus au monde.

Elle me répondit qu’elle le sentait bien, elle s’abandonnait ainsi devant moi, mais elle présenterait une autre contenance lorsqu’il le faudrait. La gloire et le bonheur de son mari avaient toujours été les premiers intérêts de sa vie et elle ne leur manquerait pas.

Je la pressai beaucoup de se rendre à Paris :

— Montez en voiture, Madame, avec tous vos enfans, vos voitures de gala, vos grandes livrées ; les barricades s’abaisseront devant elles. Le peuple Halte de cette confiance vous accueillera avec transport, vous arriverez au Palais-Royal au milieu des acclamations, il n’y a pas à hésiter.

— Si mon mari me le prescrit, j’irai certainement comme vous le dites. Mais, ma chère, cela me répugnera beaucoup ; cela aura l’air d’une espèce de triomphe… de nargue… vous entendez, pour les autres. J’aimerais bien mieux arriver au Palais-Royal, où je veux aller rejoindre mon mari le plus tôt possible, sans que cela fasse aucun effet.

— Je comprends la délicatesse de Madame, mais je ne crois pas ce moment destiné aux nuances. Tout ce qui consacre la popularité des d’Orléans et prouve combien le pays les réclame me semble utile à son salut.

Mme la duchesse d’Orléans, avec sa bonté accoutumée, s’était