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comme ailleurs, il y vend forcément au buraliste une partie de sa contrebande.

La maison de la recette buraliste de Craponne existe aujourd’hui encore, telle qu’elle était quand elle fut envahie par les Mandrins ; avec ses murs ventrus, tout de guingois. Les petites fenêtres sont jetées irrégulièrement sur les quatre façades, car elle a jour sur rue de toute part, avec des contrevens pleins, en bois naturel, brunis par le temps, scellés aux chambranles des fenêtres par des pentures en fer noir. Sur chacune des deux façades principales, une porte vitrée, basse, à linteau cintré et fermée la nuit d’un vantail de bois massif, les montans et le linteau rayés de nervures du XVe siècle. La toiture est en tuiles rouges et s’avance en auvent, couvrant une galerie à jour sur la rue, que soutiennent des poutres obliques engagées dans le mur. La maisonnette, en son exquise vétusté, se dresse au centre de la petite ville.

Or il arriva que le maire de Craponne, M. Calemart de Montjoly, s’avisa de faire des observations à Mandrin sur le métier qu’il exerçait. M. le maire présenta ces objections sans les entourer des précautions oratoires qui sont essentielles à la politesse ; en sorte qu’il dut payer aux contrebandiers une somme de cinquante louis en amende des propos malsonnans où il s’était oublié.

Le 29 août, trois escouades de Mandrins, « le bonnet à la hussarde retroussé sur l’oreille, » firent leur entrée dans Montbrison en Forez, où l’entreposeur des Fermes, M. Antoine Faure, dut accepter pour 5 532 lb. de « faux-tabac. » Puis notre héros eut une idée nouvelle :

— Nous faisons de l’argent, faisons aussi des hommes !

Et le bandit de se présenter aux prisons de la ville. Il parle en maître :

— Le registre d’écrou et un serrurier !

Par celui-ci Mandrin fait dériver leurs fers à ceux des détenus qui n’étaient écroués que pour contrebande, faux-saunage ou désertion. Ainsi il élargit huit braves, qui furent heureux de se joindre à la bande de leur libérateur. Les prisonniers de droit commun, voleurs, filous et assassins, furent laissés sous les verrous :

« — Pour vous, leur disait-il, je ne suis pas votre sauveur. Vous méritez d’être pendus. »

Quant aux fers, il les remit au geôlier. « Et ils ont rendu les