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de retard, et s’impatientaient hautement de ce qu’il ne se jetait pas tout à travers le mouvement. « Qu’il commence par s’emparer du pouvoir, disaient-ils, on s’expliquera plus tard. »

C’était l’opinion la plus générale, je conviens l’avoir partagée. L’anarchie nous arrivait de tous les côtés et me semblait le pire des maux.

Arago survint tout bouleversé. Ses efforts étaient dépassés. Il quittait une réunion de jeunes gens qui se disposaient à proclamer la République. Puis vint la duchesse de Rauzan apportant la même nouvelle. Moreau aussi l’avait recueillie dans la rue, et en faisait un nouvel argument pour m’emmener. Cependant, je résistai, et je l’expédiai avec ma réponse.

Dans ce moment, je reçus celle de Mme de Montjoie : « . Votre billet, me disait-elle, ne m’est parvenu qu’à dix heures ; il est déjà sous les yeux de M. le duc d’Orléans. Venez, venez, très chère, on vous attend ici avec la plus vive et la plus tendre impatience. »

Je voulus questionner le messager ; il était reparti. Le billet était daté de Neuilly, dix heures et demie. Comment y aller ? Toute circulation, en voiture, était impossible.

Arago et Mme de Rauzan me pressèrent également de m’y rendre, de peindre l’état des choses et de hâter un dénouement. Après quelques instans d’hésitation, je me décidai à me mettre en route à pied. Arago me donnait le bras.

Je dis à Mme de Rauzan, qui m’aidait à nouer mon chapeau, tant elle était pressée de m’expédier : « Soyez-moi témoin que je ne vais pas à Neuilly comme Orléaniste, mais comme bonne Française, voulant la tranquillité du pays. » Elle me souhaita tout succès et me répondit que ma mission était une œuvre de charité.

Arrivés à la place Beauvau, nous entendîmes lire la proclamation manuscrite du Lieutenant général du royaume ; celle qui disait : « La Charte sera désormais une vérité. » L’homme qui la publiait s’arrêtait, de cent pas eu cent pas, pour renouveler cette lecture.

Les groupes se formaient autour de lui. Voici les faits dont j’ai été témoin. On l’écoutait avec une grande anxiété ; elle ne produisait ni joie ni enthousiasme, mais un extrême soulagement. Chacun retournait très calmement à ses affaires, comme ayant reçu une solution satisfaisante à une question dont il était vivement inquiet, et respirant plus librement.