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diplomatique à Saint-Cloud, il proclamait hautement l’impossibilité de rentrer dans une capitale qu’on venait d’ensanglanter. La lâcheté était égale à l’incapacité, il fallait se tourner du côté des d’Orléans. Il n’y avait de salut que là, tout le monde devait se rattacher à eux, etc.

Il y avait plusieurs personnes dans le salon où se tenaient ces discours ; je crois même le baron de Werther[1], je ne voudrais pourtant pas l’affirmer.

Je ne me rappelle pas au juste l’heure, mais la matinée devait être assez avancée, lorsqu’on rentrant chez moi, je trouvai Arago qui m’attendait. Depuis sa visite du matin, il avait appris qu’on travaillait vivement pour la république. Il venait, disait-il, de soutenir thèse contre cet insensé projet.

Les chances du ministère Mortemart devenaient impossibles ; mais il fallait se hâter de prendre un parti si on ne voulait pas tomber dans les désordres d’une anarchie complète. Il avait rendez-vous le soir avec des meneurs, il tâcherait de les raisonner. Il répondait encore des élèves de l’Ecole polytechnique pour quelques heures, mais seulement pour quelques heures !

Je ne pouvais rien faire de ces tristes révélations, hors m’en tourmenter.

Toutefois, quoique Arago ne dît que la vérité, ces dispositions fâcheuses, je dois le répéter, étaient étrangères à la masse de la population soulevée et agissante.

En voici encore une preuve entre mille. Je désirais beaucoup faire parvenir une lettre à ma famille alors à Pontchartrain. J’imaginai de l’adresser à mon père et de charger le porteur de la montrer en disant que c’était pour convoquer un pair de France.

Il se présenta à la barrière, que personne ne franchissait, à cinq heures du matin le vendredi ; et, non seulement, elle lui fut aussitôt ouverte, mais on lui donna une espèce de passeport pour traverser les endroits se trouvant déjà « libérés, » c’est ainsi que cela s’appelait, en spécifiant sa mission. Je suis bien fâchée de n’avoir pas gardé ce papier. À cette époque, il ne me parut qu’un chiffon bien sale ; et il l’était en effet.

Je reçus vers cette heure un billet de M. de Chateaubriand. Il me mandait avoir été en route pour venir chez moi lorsque

  1. Ministre de Prusse à Paris.