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d’un gouvernement provisoire réuni à l’Hôtel de Ville, et me demanda si j’étais en mesure d’obtenir de lui une permission de passer les barricades pour se rendre à Saint-Cloud.

Je me mis tout de suite à écrire un billet à M. de Laborde que j’envoyai chez lui.

Quelques personnes vinrent me voir dans la soirée, et eurent grande joie à trouver chez moi M. de Glandevès dont on était inquiet. L’ambassadeur de Russie me fit dire qu’il était encore trop souffrant pour sortir.

M. Pasquier nous apprit le retour de M. de Sémonville et la présence de M. d’Argout à l’Hôtel de Ville où il avait annoncé la prochaine arrivée du duc de Mortemart, nommé président du Conseil et chargé de former un ministère où entraient le général Gérard et M. Casimir Perier.

M. de Vitrolles, revenu avec MM. de Sémonville et d’Argout, avait fort conseillé cette décision ; on pouvait donc espérer qu’elle était sincèrement adoptée à Saint-Cloud. M. de Glandevès, plus avant dans cet intérieur qu’aucun de nous, témoignait du doute sur cette sincérité.

Je me rappelle ses propres paroles : « C’est une médecine qu’on ne prendra qu’en attendant que la peur soit passée. » C’était beaucoup de gagner du temps en pareille situation, et nous nous en réjouissions fort.

Glandevès nous raconta encore que, la veille au soir, le mercredi, le Roi avait fait sa partie de whist avec les fenêtres ouvertes. Le bruit du canon et des feux de file se faisait entendre distinctement. A chaque explosion, le Roi donnait une légère chiquenaude sur le tapis de la table, comme lorsqu’on veut faire enlever la poussière.

Il n’y avait point d’autre signe de participation donnée à ce qui se passait. La partie allait son train comme de coutume, et aucun courtisan n’osait faire la moindre réflexion. Charles X avait à l’ordre, évité d’adresser la parole aux personnes arrivant de Paris ; et l’étiquette était tellement établie que, malgré qu’on eût formé, avant l’ordre, une espèce de complot pour lui faire dire la vérité par M. de La Bourdonnaye et le général Vincent, témoins oculaires des événemens, ni l’un ni l’autre, ni aucun de ceux qui devait les assister n’avait osé prendre l’initiative.

La partie et la soirée terminées comme à l’ordinaire, le général Vincent était revenu aux Tuileries, indigné du spectacle